1. Le nouveau

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Elle est là, à quelques centimètres du bout de mes doigts, je n'ai qu'à pousser sur ma jambe et je l'aurai. J'ai les mains moites malgré la magnésie et de grosses gouttes de sueurs glissent sur mon front. Je veux faire le mouvement, mais mes jambes ne cessent de trembler. J'hésite pendant quelques secondes à descendre du mur. Non, je ne peux pas faire ça, je ne peux pas abandonner si lâchement, il ne l'aurait pas fait, lui. Je laisse mes doutes de côté et m'élance. Je parviens à attraper la prise du bout des doigts, mais à peine ai-je le temps de laisser mes mains trois secondes pour valider ma voie que mon pied droit glisse. Le rythme de mon cœur accélère rapidement tout au long de la chute et mon dos frappe violemment le gros matelas au sol.

Mince, encore raté !

Je reste couchée, dégoûtée d'avoir échoué une fois de plus. Je refuse d'ouvrir les yeux par peur de voir la vérité en face. Je suis de nouveau en bas de ce mur. Je me demande si un jour j'arriverai de nouveau à atteindre les sommets. À quoi bon continuer à venir l'escalade si mon niveau et ma joie ont déserté les lieux.

J'entends quelqu'un s'approcher de moi. J'ouvre les yeux et vois un homme baraqué qui me regarde avec un sourire aux lèvres. Il tend le bras pour que je puisse empoigner sa main et m'aide à me redresser.

― Alors championne, comment ça se passe ? me demande-il, en s'asseyant sur le tapis avec moi.

― Je pensais que ça allait être plus facile, avoue-je honteuse.

Je baisse les yeux et frotte mes mains l'une contre l'autre pour enlever le surplus de magnésie et éviter le regard de mon coach.

― Eleanor, regarde-moi.

Je lève la tête, une larme au coin de l'œil. Il prend mes mains dans les siennes et continue.

― Ça va prendre du temps, je ne peux pas te dire le contraire. Mais tu es une fille pleine de caractères et tu vas surmonter ça. Crois-moi je ne connais pas beaucoup de jeunes filles de 17 ans qui seraient revenues comme une battante comme tu es en train de le faire.

― Merci, murmure-je au même moment où une goutte d'eau salée rencontre mes lèvres.

― C'est de famille, vous êtes tous comme ça et tu dois en être fière.

Il a raison, n'importe qui dans ma famille aurait surmonté ça. Nous avons tous cette niaque qui nous pousse dans notre quotidien et notre passion. Mes parents ont excellé dans leurs travailles grâce à ça, ce qui leur a valu un grands noms dans le domaine de l'escalade en bloc. Cette force a aussi aidé mes frères aînés à réussir chacune de leurs compétitions et j'espère qu'elle me permettra à mon tour de sortir de tous ça et d'atteindre mon rêve.

Mon coach me félicite et s'éloigne.

Je me relève et regarde mes mains. Elles sont très rouges et mes ongles sont griffés par la texture des prises. Je pense que je vais m'arrêter là pour aujourd'hui.

Je ramasse mon sac de magnésie ainsi que mon essuie et sors de la salle très peu fière de ce que je viens de faire. Dire qu'avant, je faisais des pistes de niveau 7a/7b sans difficulté et que maintenant, le niveau 5a/5c me terrifie. Malgré tout, je tente de voir le positif. Cela fait presque un mois que je me rends toutes les semaines dans cette salle pour reprendre ma passion et avant aujourd'hui, je n'étais même plus capable de m'approcher du mur. On peut voir ça comme une victoire, elle est petite, mais n'en reste pas moins une.

Je marche pendant une dizaine de minutes sous le ciel sombre parsemé d'étoiles. Chaque pas que je fais m'éloigne un peu plus de la salle. Si on m'avait dit il y a encore un an que je détesterais y aller, j'aurais ri au nez de la personne. Mais c'est pourtant vrai et je déteste ça. J'ai hâte d'être chez moi pour pouvoir me glisser dans mon lit bien chaud et oublier cette journée. Marcher si tard dans le froid par un mois d'octobre m'aide à me changer les idées, mais ce n'est pas la chose la plus agréable. Heureusement, je n'habite pas bien loin de la salle. Quand mes parents ont fait construire la maison, c'était une évidence. Il fallait une salle d'escalade à proximité. Je trouve ça plutôt logique, c'est comme si un surfeur professionnel partait vivre au beau milieu des montagnes pour pratiquer sa passion. Ça n'a pas le moindre sens. Je pousse la porte de chez moi et entre. Il fait calme, tout le monde dort sûrement. Je vais dans la cuisine, prends l'assiette qui m'est destinée dans le frigo et la réchauffe. Je tente de faire le moins de bruits possible, mais le bip du micro-ondes n'est pas du même avis. Je le coupe vite et récupère mon assiette. Je m'installe à table pour la manger et quelques minutes plus tard, mon père me rejoint.

Grimpe sans moi si tu le veuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant