Charlotte prenait des notes frénétiquement, mais son esprit était ailleurs. Zack Wilton, l'homme en face d'elle, était pourtant intéressant ; souffrant d'un trouble dissociatif de l'identité, il avait monté une association pour venir en aide aux personnes atteintes de maladie mentale. Il avait trois autres personnalités, dont une femme acerbe, un jeune timide et un autre homme fan de catch. Zack, lui, était relativement calme et aimable. Alors qu'elle ne cessait de penser au rendez-vous de cet après-midi avec le commissaire, son ventre se tordant douloureusement à cette simple idée, l'homme la regardait avec un sourire bienveillant.
- Vous êtes distraite.
- O-oui, p-pardon... Vous disiez ?
Elle força son esprit à revenir dans cette maison, où il faisait vraiment chaud. Mais elle savait qu'il partira aussitôt après, et elle se mordit les lèvres. Elle n'y arriverait pas. Peut-être qu'il était vraiment temps de prendre des jours de repos. Ses cernes ne cessaient de croître, et tout le monde lui disait à quel point elle semblait épuisée. Certains semblaient même croire qu'elle était anorexique, tant elle maigrissait. Il fallait dire qu'elle ne mangeait pas beaucoup, son estomac se nouant dés qu'elle voyait de la nourriture.
- Vous souffrez d'anxiété sociale.
Loin de partir, l'affirmation tranquille de Zack Wilton permit à son esprit de la garder dans la réalité. Elle cligna des yeux et se gratta nerveusement le bras.
- C-comment vous l-le savez ?
Inutile de le nier, elle le savait. L'homme continuait de lui sourire tranquillement.
- Plusieurs choses. Vous évitez de regarder les personnes dans les yeux, sans doute par manque de confiance en vous. Vous gardez toujours la tête basse quand vous marchez. Vous avez pleins de gestes parasites, comme vous gratter le bras. Vous faîtes toujours en sorte d'avoir les mains occupés, comme quand vous avez joué avec votre stylo tout à l'heure. Vous avez des cernes, témoins direct des insomnies que vous devez avoir.
- C'est p-peut-être simplement de la t-timidité...
- Si c'était le cas, je ne pense pas que vous auriez des insomnies. Vous vous rongez les ongles et vous bégayez. Si c'était de la timidité, vous auriez fini par vous rassurer et vous me regarderiez dans les yeux. Vous auriez été moins gêné. Là, depuis le début, vous vous dites que je vous juge, que je dois vous prendre pour une enfant, que vous êtes faible et stupide. Ce n'est pas le cas, rassurez-vous. Et là, vous devenez méfiante parce que vous vous demandez si je suis sincère ou si j'essaie de vous manipuler. Votre vie c'est ça : vous passez votre temps à angoisser pour un futur qui n'arrive pas, et un passé que vous regrettez. Vous le savez, mais vous n'arrivez pas à le contrôler. La nuit, c'est probablement le pire, parce que le lendemain est proche et que vous n'êtes pas occupés. Chaque interaction sociale vous semble insurmontable, et je vois bien que vous ne vous en sortez pas ; vous êtes épuisée. Puis-je vous poser une question ?
Incapable de prononcer un mot, de peur d'éclater en larmes, elle se contenta de hocher la tête.
- Pourquoi faites-vous ce travail ? Vous vous faîtes du mal parce que vous n'avez pas encore les armes pour y faire face, et dans un bureau, à l'abri des autres, vous aurez, je pense, un meilleur salaire et du stress en moins.
Sa voix était apaisante, tendre, comme s'il parlait à sa propre fille. Ca aurait presque pu être possible, d'ailleurs. Dans son ton, il n'y avait pas la moindre lueur de jugement ou de moquerie, simplement une curiosité bienveillante. Elle ne savait plus ce qu'était la bienveillance, et cet homme semblait en être l'incarnation. Voir autant de chaleur dans des yeux lui donnait juste envie d'éclater, de se libérer, de tout lui avouer. Mais elle serra les dents et résista, au point qu'elle sentit une douleur se répandre dans sa mâchoire.
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Le Monstre (terminé)
Mystery / Thriller- Distingué coup de cœur du jury au concours d'écriture session 2024 de @by-soum - Classement : 6e sur 16 Qui est le véritable monstre ? Le bourreau... Ou la victime ? Léo, un jeune homme banal, disparaît un soir. Charlotte, une journaliste de son...