Chapitre 3 : Humiliation

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- Tu te souviens, Léo ? C'était là que tout a accéléré.

Charlotte avait retrouvé son calme, et racontait comme si elle avait retrouvé son ami. Un ton cordial et neutre. Le prisonnier ne prononçait pas un mot, se demandant ce qu'elle comptait lui faire. La jeune femme fronça les sourcils. Elle était contrariée. Léo recommençait à avoir peur. Elle était complètement folle. Elle pouvait le frapper d'ici une seconde, l'insulter, lui hurler dessus... Ou faire du mal à sa mère. Mais pourtant, sa seule pensée se dirigeait vers sa vessie.

- I-Il faut... Que je pisse...

Il crut qu'elle allait le gifler ou lui crier une nouvelle fois dessus. Au lieu de quoi, elle prit la bouteille qu'elle avait emmenée et détacha prudemment les poignets du jeune homme. Craignant une tentative d'échappatoire, elle les serra et se dépêcha de les ramener devant lui avant de les rattacher. Le garçon grimaça mais ne tenta rien. Il savait que sinon, il devra tenir encore plusieurs heures la vessie pleine, en plus d'être assez maigre et fragile. Mais il comprit soudain qu'il ne pourra pas se dégourdir les jambes.

- A-Attends... T-tu veux q-que je pisse assis ?

- Tu pensais quand même pas que j'allais te détacher complètement ?

- Mais je fais comment ?

- Démerde-toi.

Il ne bougea pas, un air de total stupeur sur son visage. Charlotte plissa les yeux, elle commençait à s'agacer. Elle se rassit tout de même et croisa les bras.

- Si d'ici deux minutes, tu n'as pas rempli cette putain de bouteille, tu vas attendre jusqu'à demain.

- M-mais tu vas rester là ?

- Il n'y a que ça qui te préoccupe ? Je ne vais pas regarder. Je veux juste être sûr que tu ne tentes rien d'idiot.

Il n'avait pas le choix, et le besoin était trop fort. Ce fut avec le sentiment d'humiliation qu'il remplit la bouteille. Comme Charlotte l'avait dit, elle s'était contentée de regarder un point au dessus de lui. Quand il eut refermé sa braguette, elle récupéra avec une grimace le liquide et quitta la pièce.

Malgré lui, Léo se sentait un peu mieux, mais à présent la colère grondait en lui. De quel droit elle se permettait de l'humilier ? Cette ado qui la collait tout le temps et dont il en avait marre, cette insupportable gamine qui l'a enlevé pour lui raconter une histoire qu'il connaissait déjà et dont il s'en foutait. Une chose était sûr, quand il sortira de là, il la dénoncera, et elle passera le reste de sa vie derrière les barreaux. Elle le méritait, et il sera tranquille.

Mais pour le moment, il ne pouvait rien... Eh, mais...

Elle avait laissé la lumière allumée. Elle était partie ainsi. Le jeune homme en profita pour observer la pièce à la recherche de quelque chose qui pourrait l'aider à sortir d'ici. Il n'y avait que des cartons et la chaise qu'elle avait installée devant lui. Mais comment pourrait-il se détacher ? Il devait voir l'intérieur de ces cartons, mais il ne pouvait pas bouger de cette maudite chaise. Et s'il restait enfermé là pendant des mois sans que personne ne le trouve ? Et si Charlotte le tuait ? Il ne savait plus quoi faire. Il se sentait désespéré à présent, au fond du trou. Ce vieux désespoir, ça faisait longtemps qu'il ne l'avait pas ressenti... Le vide se faisait en lui, comme si un puit avait inspiré toutes ses émotions. Non. Il était hors de question de se laisser abattre. S'il se morfondait sur lui-même, c'était fini. Il devait se concentrer sur un moyen de sortir.

Il n'eut pas le temps de réfléchir davantage que Charlotte réapparut sur le seuil, deux autres bouteilles à la main. Il n'eut pas le temps de voir ce qu'elles contenaient. Elle s'approcha lentement de lui, ouvrit l'une des deux bouteilles. Il sentit la peur l'envahir, parcourir le long de son corps. La sueur colla dans son dos. Ses mains devinrent moites. La torture commençait.

- Bois.

Elle approchait le goulot de sa bouche, mais il la recula, le visage défiguré par la terreur.

- Tu comptes me faire quoi ? C'est quoi ce truc ? Tu veux m'empoisonner ?

Charlotte resta figée, observant la peur chez lui. Elle se sentait à la fois heureuse... Et horrifiée par ce qu'elle faisait. Malgré tout, elle eut presque envie de rire.

- C'est de la soupe, abruti !

Il se détendit, du moins un petit peu. Il voulut prendre le temps de boire, voir s'il s'agissait vraiment de soupe, mais elle lui versa le contenu le plus rapidement possible dés qu'il eut ouvert sa bouche avec hésitation. Elle s'agglutinait dans sa gorge, le brûlait et il manqua de s'étouffer. Il toussa pendant de longues secondes douloureuses, où il avait l'impression qu'on lui versait de l'acide. Néanmoins il eut le temps de sentir le goût de la carotte et du poireau sur sa langue, c'était bien de la soupe. Il n'avait pas le temps de se réjouir qu'elle lui fit avaler un autre liquide, de l'eau. Cette fois, il avala le plus vite possible, sa gorge lui faisait mal. La moitié de la bouteille fut vidée en peu de temps, trop peu, si bien qu'il toussa de nouveau. Mais il avait encore terriblement soif... La jeune femme s'éloignait déjà, il voulut la retenir.

- Attends... ! Laisse-moi boire encore un peu ! S'il te plaît !

- On n'est pas dans un hôtel. À demain.

- Charlotte !

Trop tard. La lumière s'était éteinte et la porte refermée derrière elle.

La jeune femme mit du temps à reprendre son souffle. Son nom avait été prononcé avec tant de désespoir que son coeur s'était brisé. Ce ne fut que maintenant qu'elle se rendit compte de ce qu'elle avait vraiment fait. Elle avait enlevé un garçon. Elle l'avait enlevé, attaché et...

Au début, c'était grisant et satisfaisant de le voir sentir de la peur en la voyant, de le sentir impuissant et humilié. Elle avait voulu le briser comme lui l'avait fait. Mais à présent ? Léo était terrifié. Elle voulait qu'il paie, et voilà que c'était elle qui souffrait. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle ne pouvait pas faire ça. Elle devait le libérer, arrêter ça avant qu'il ne soit trop tard. Mais si elle le faisait... Elle finira en prison. Elle ne pourra plus se regarder en face. Elle sera un vrai monstre. Sa vie serait foutue. Elle est déjà foutue.

Puis une voix dans son esprit la pria de se calmer, que tout irait bien. La même qui lui avait susurré l'idée du kidnapping. Elle avait tout prévu. Il le méritait. Elle n'avait pas à se sentir triste pour lui, parce qu'il ne l'a jamais été pour elle. Il devait payer de son sang, de sa peur, et elle devait se délecter de ces yeux qui la suppliaient, qui la craignaient. Cette sensation de puissance et de contrôle. C'était grisant. Pendant que le calme prenait possession d'elle, elle sentit ses lèvres s'étirer, et elle partit se préparer à manger.

Léo avait tenté de l'appeler ainsi pour qu'elle fasse demi-tour et retrouve ses esprits. Il était de nouveau seul avec les battements de son coeur affolé. La pénombre lui rappelait ce moment sombre de sa vie, quand rien n'allait et qu'il avait l'impression d'être le seul à voir toute la pourriture humaine. Ses démons qui le hantaient. La terreur qui l'envahissait. Le vide qui engloutissait tout.

Il ne contrôlait plus rien. Les larmes lui montèrent aux yeux, il avait peur. Il était de nouveau ce petit garçon qui criait parce qu'il avait peur du noir. Un petit être fragile et terrifié. Un petit être qu'il fallait protéger, incapable de le faire lui-même.

- C-Charlotte... Je t'en supplie... Retrouve tes esprits et libère-moi...

Il se détestait à l'idée de la supplier, elle. Mais c'était probablement sa seule chance de sortir. Il devra tenter le lendemain. Pour le moment, il devait essayer de dormir, récupérer des forces, ignorer cette gorge brûlante et ses lèvres sèches, retrouver de l'énergie. C'était vital.

Le Monstre (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant