Le commissaire Stainleck était réputé pour être une tête de con, surtout dès le matin et envers les journalistes. On disait toujours de lui qu'il était un "connard pressé" mais un "vrai flic avec du flair qui va au bout de ses intuitions et de ses idées". Au final, il était souvent craint mais respecté, tant par ses égaux que par la hiérarchie.
Il disait toujours que les journalistes en faisaient toujours de trop, pour raconter des rumeurs ou choses inutiles ou invérifiées. Mais s'il ne les supportait pas, il devait cependant avouer que l'échange d'informations pouvait l'aider. Notamment avec la dénommée Charlotte.
Un café à la main, Stainleck se remémorait le rendez-vous avec la jeune journaliste. Il avait passé une mauvaise journée, et n'avait pas cherché à la rassurer, il voulait simplement avoir les informations. Mais maintenant qu'il y repensait, elle ressemblait à sa fille. Timide, mal dans sa peau, harcelée par des camarades, Suzie fixait tout le temps le sol et évitait de regarder les inconnus dans la rue. Il avait l'impression d'avoir été face à un jeune animal effrayé, mais jamais il n'aurait pensé qu'elle serait le bourreau. Il avait même demandé la coopération d'une criminologue, dont il venait d'avoir l'analyse. Elle avait été claire : Charlotte n'était pas une criminelle. C'était un geste désespéré pour rejeter son mal-être, tenter de se faire justice à soi-même. C'était une jeune femme dépressive et à la limite de la phobie sociale. C'était une jeune femme qui avait développé une forte dépendance envers le jeune homme et qui s'était fait brutalement rejetée, qui ne savait plus comment faire pour gérer tout cela.
La veille au soir, il avait appris de nouvelles informations que son équipe avait ramassé. Il ne le disait pas souvent, mais ils avaient tous fait un beau travail. Elles lui permettaient de mieux comprendre la situation de Charlotte, même s'il devait avouer que commettre un pareil acte pour ça, il trouvait que c'était puéril. Avant de constater la ressemblance avec sa fille.
Il avait également pu récupérer la retranscription du premier témoignage de Léo, qu'il avait lu attentivement. À présent, il faisait le décompte dans sa tête. Cinq jours depuis que Léo avait été retrouvé vivant, qu'il était rentré chez lui, qu'il était considéré comme un héros qui avait survécu à l'enfer. Cinq jours que Charlotte avait mis fin à sa vie, seule, dans le désespoir. Cinq jours qui avaient été tout aussi intenses que les précédentes. Mais l'enquête touchait à sa fin, il le savait. Il avait hâte de conclure cette affaire, ils étaient tous fatigués. L'équipe semblait tellement à bout qu'il avait proposé de faire le dernier témoignage à la place de l'un d'entre eux, qui l'avait remercié avec le café. Après tout, il devait juste obtenir son témoignage de ces derniers jours et ce serait plié. Du moins, c'était ce qu'on attendait de lui. Or, Stainleck aimait le travail bien fait et complet. Il voulait simplement faire avouer la vérité.
Il avait volontairement fait attendre Léo, dans la salle d'interrogatoire. Plus les témoins étaient stressés, plus ils étaient susceptibles de commettre des erreurs et des incohérences dans les récits. À peine entré, il posa le gobelet de café sur la table, un dictaphone, suivi d'un dossier soigneusement constitué. Il ne répondit pas au salut du jeune homme et se contenta de le dévisager en s'asseyant. Léo était un jeune homme maigre, métis, aux yeux noisette souligné par des cernes, dans un visage qui ne lui inspirait rien. Un jeune homme qu'il aurait ignoré dans la rue, qui ne marque pas l'esprit. Et pourtant...
Le garçon semblait mal à l'aise suite à ses yeux analyseurs. Il prit le temps de poser ses coudes sur le dossier, de boire une longue gorgée de son café, et de le fixer droit dans les yeux avec un regard impénétrable. Enfin, il alluma le dictaphone.
- Dernier témoignage de Léo Cirufer dans l'affaire numéro 2421. Léo, raconte-moi ce qui s'est passé ces derniers jours.
C'est ce qu'il fit, en omettant aucun détail. Il semblait même amplifier ces derniers, histoire de prouver à quel point Charlotte était un monstre, un déchet, une psychopathe qui voulait l'humilier pour le détruire. À la fin, Stainleck laissa un blanc envahir la pièce. Il avait encore le choix. Éteindre le dictaphone et clore l'enquête définitivement, ou alors... Poursuivre pour achever ce que la jeune journaliste avait commencé et comprendre les actions du garçon devant lui. Son choix était fait à l'instant où il avait décidé de prendre l'entretien en main.
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Le Monstre (terminé)
Mystery / Thriller- Distingué coup de cœur du jury au concours d'écriture session 2024 de @by-soum - Classement : 6e sur 16 Qui est le véritable monstre ? Le bourreau... Ou la victime ? Léo, un jeune homme banal, disparaît un soir. Charlotte, une journaliste de son...