CHAPITRE 3: EMELYN

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Quand j'ouvris les yeux, le soleil était déjà bien haut dans le ciel. Une légère brise caressa mon visage. Combien de temps avais-je dormi ?
Il me fallut quelques longues secondes supplémentaires pour réaliser où je me trouvais. Pas de lit douillet, pas de Sabine ni d'Echo. Juste de l'herbe et de la boue sèche.

Mon regard se dirigea instinctivement vers mon poignet, qui me faisait toujours souffrir. Les bandages étaient déchirés et sales, mais je n'avais pas le courage de les retirer pour découvrir l'ampleur des dégâts.

Je me levai alors avec peine. Ma tête tournait, et je fus prise d'un vertige. Les souvenirs de l'après-midi précédente me revinrent par fragments. Le sang sur le sol, ma fuite vers la forêt, le bruit de mes poursuivants se rapprochant.
Je m'étais cachée sous un gros arbre près d'ici, à bout de souffle, espérant leur échapper. Je jetai un coup d'œil autour de moi, à la recherche de celui-ci. Dans la panique, je n'avais pas vraiment pris le temps d'observer précisément l'arbre mais il avait de si grosses racines que j'étais certaine de le reconnaître. Après avoir fouillé les alentours pendant plusieurs minutes, je dus me rendre à l'évidence : l'arbre n'était plus là. J'avais dû m'éloigner bien plus que je ne le pensais avant de m'endormir.

Avec une profonde inspiration, je me remis en marche. Mes pensées recommencèrent à me torturer l'esprit, me harcelant sans répit. Mlle Maude avait-elle survécu ? Et les autres filles ? Mes sœurs ? Sabine et Echo avaient-elles pu fuir comme je l'avais fait ? Avaient-elles été capturées ? Les cris résonnaient encore dans ma tête, mêlés aux images des soldats se ruant sur elles. Je revoyais sans cesse le visage de Mlle Maude, ses traits crispés et ses dernières paroles :

Tu dois te rendre au royaume du Nord.

Le royaume du Nord... J'avais étudié les cartes des cinq royaumes à l'orphelinat. Mlle Belian nous donnait régulièrement des cours, notamment sur l'histoire des différents royaumes. Je savais uniquement ce qu'elles savaient, c'est-à-dire pas grand chose. Le nom des souverains, les différentes maisons, leur politique ou encore les langues parlées sur chaque territoire.
Il faut dire que nous vivions totalement à l'écart du reste du monde. En effet, l'orphelinat se trouvait au royaume de l'Est, mais il était très excentré de la capitale.
Mlle Maude et Mlle Belian étaient des femmes d'église, profondément croyantes en la paix et en Dieu. Il y a dix-huit ans, elles avaient dû fuir leur village natal lors d'une attaque orchestrée par l'armée de Nostralis, le royaume de l'Ouest. Pourquoi et comment la guerre avait commencé, elles ne le savaient pas vraiment. Ce qu'elles nous affirmaient, c'était que les hommes avaient été corrompus et que la violence avait déchiré nos terres.
Lors de l'attaque, elles avaient pris avec elles le plus d'enfants possibles, toutes des fillettes auxquelles elles enseignaient jadis leur religion. Elles s'étaient alors réfugiées dans une auberge abandonnée aux abords d'une forêt, dissimulant leur petit groupe du reste du monde. Un endroit où elles seraient en sécurité.

Très vite, elles avaient ressenti le besoin de découvrir s'il y avait d'autres survivants et avaient donc décidé d'explorer les villages voisins, dévastés par la guerre, dans l'espoir de trouver des personnes à sauver.

C'est là qu'elles m'avaient trouvée. Dans un village du nom de Clairval. Je n'étais qu'un bébé à l'époque.

Je t'ai entendue pleurer. Je n'en croyais pas mes oreilles. Le village avait été décimé mais toi, tu avais survécu. Un si petit être, si vulnérable, avait survécu. m'avait raconté Mlle Belian.
Elles m'avaient retrouvée enveloppée dans une couverture, sous un lit, cachée. C'est ainsi que l'orphelinat avait pris forme, un foyer pour toutes les âmes perdues de la guerre.

L'orphelinat. Il me fallait y retourner au plus vite. Peut-être qu'il restait quelqu'un en vie là-bas. Peut-être m'attendaient-elles. Oui, c'était ma seule option.

Les héritiers du sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant