CHAPITRE 4: AMBROISE

23 4 0
                                    

J'avais passé la nuit entière dans le gymnase, incapable de trouver le sommeil. Frapper les sacs de sable mis à notre disposition pour nos séances d'entraînement m'apportait une sorte de réconfort, m'aidant à mettre de l'ordre dans mes pensées. Chaque coup que je donnais me permettait d'évacuer un peu de la confusion qui me dévorait. La cérémonie d'Unification ne s'était pas du tout déroulée comme je l'avais imaginé. Premièrement, j'y avais survécu, ce qui relevait du miracle, et deuxièmement, aucun sorcier n'avait pénétré mon esprit ni sondé mes souvenirs. Le Sorcier blanc en personne les en avait empêchés. Ce qui signifiait que ma couverture tenait toujours, du moins pour le moment.

Pourtant, le sourire et la lueur espiègle que j'avais aperçus dans les yeux du Sorcier blanc juste après qu'il m'ait coupé les veines m'empêchaient de savourer pleinement cette nouvelle.

Je ne comprenais pas ses intentions. J'avais beau avoir passé en revue la scène des dizaines de fois dans mon esprit, cherchant à comprendre pourquoi il était intervenu ainsi, je n'avais réussi qu'à m'embrouiller davantage. Chaque réflexion semblait me ramener à la case départ. Avait-il cherché à me protéger ? Moi et ma couverture ? Pourquoi aurait-il fait cela ? J'étais leur ennemi, son ennemi. Le fait qu'il ait pris ma défense n'avait aucun sens.

Mais le pire était que je n'étais même pas certain qu'il sache qui j'étais réellement. Certes, il était un homme puissant, doté de pouvoirs redoutables et du statut de commandant de la confrérie des Sept. Mais son influence ne s'arrêtait pas là. Il était aussi le second du Roi de Valherm, le royaume du Nord. En tant que tel, il devait avoir une connaissance approfondie des arcanes politiques des cinq royaumes, connaître les souverains et leurs héritiers. Mais les avait-il rencontrés en personne ? Serait-il capable de reconnaître le fils martyre d'un roi, surtout s'il avait changé d'identité pour éviter d'être démasqué ?

De toute façon, je ne ressemblais en rien à mon père, ni sur le plan physique ni en termes de personnalité. Mon père était un homme imposant, avec une stature royale et un caractère inflexible. En revanche, j'avais toujours été le fils indigne, sorti au grand jour uniquement quand il y était obligé. Les traitements sévères que j'avais subis m'avaient laissé avec une stature plutôt fragile et je ne parle même pas des séquelles psychologiques.

Non, le Sorcier devait certainement ignorer mon identité. Mais alors, pourquoi les avait-il arrêtés ? Que cherchait-il à accomplir en me protégeant de la sorte ? Et pourquoi m'avait-il donné ces visions, bien qu'elles aient été très brèves, d'une inconnue qui semblait sortie de nulle part ?

Et puis il y avait son aura. Unique en son genre, elle dégageait une force et une sérénité inégalées. Il m'avait suffi de me concentrer sur elle pour canaliser mon pouvoir, un exploit que je n'avais jamais réussi auparavant avec autant de précision et de facilité. J'avais réussi à le contrôler, à dompter cette énergie qui me semblait souvent insaisissable. Il fallait à tout prix que je réessaye, que je comprenne si cette connexion avec l'aura du sorcier pouvait à nouveau me servir d'encrage.

À travers toutes mes réflexions, une seule certitude se détachait : il avait manipulé l'esprit de chaque apprenti mage pendant la cérémonie, effaçant de leur mémoire l'instant où il m'avait lacéré le poignet. J'en étais certain car, lorsque le repas fut servi et que j'eus rejoint la table des apprentis, aucun des jeunes mages ne montra de signe d'étonnement face à ma présence. Comme à l'accoutumée, je m'étais fondu dans la masse, et personne ne m'avait interrogé sur l'incident. Un tel événement aurait pourtant inévitablement suscité des commentaires. Ainsi, lorsque j'entendis mes camarades fraîchement promus exprimer leur enthousiasme, je compris que personne n'avait été témoin de ce que j'avais vécu. Cette conclusion m'apporta à la fois du réconfort et de l'inquiétude. D'un côté, chacun me considérait désormais comme digne de mon nouveau statut et donc leur égal ; de l'autre, réaliser que le Sorcier blanc possédait un pouvoir de manipulation mentale si puissant – il y avait près d'une centaine d'initiés lors de la cérémonie, sans compter les six autres sorciers de la confrérie – me glaça le sang.

Les héritiers du sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant