Elio
18 juillet 2043, 00h31
Bien qu'il fût le début de la nuit, le sommeil dans lequel l'humaine allongée dans ce petit lit était plongée n'était pas parvenu à affecter Elio. Depuis son Réveil, il se l'était interdit, mais ce soir-là, ne pouvant dormir, ses pas l'avaient guidé dans la pièce retenant la jeune Izel. Ses iris, d'une couleur oscillant entre le beige et le gris et possédant de fines nervures violacées, suivaient la courbe des fils d'argent qui composaient la chevelure de la belle endormie.
Il passa une main distraite à travers les légères ondulations qui tombaient dans son dos, comme lorsqu'on caresse l'écume des vagues s'échouant sur le sable. Elles étaient plus irrégulières, moins soyeuses que ce dont il avait l'habitude. La négligence de la jeune fille à vouloir se battre se reflétait à l'extérieur. Elle était pourtant si coquette !
Elio pinça les lèvres à ce constat. Cela lui faisait si mal au cœur de la voir ainsi. Il ne la reconnaissait pas du tout, elle qui était habituellement si radieuse, et lumineuse, avait perdu tout son éclat. "Comme une pierre de Lune..." Pensa-t-il, ne pouvant s'empêcher de se dire qu'elle était réellement à l'image de son prénom, là, étendue seule dans sa prison.
Mais que pouvait-il lui reprocher ? Le calvaire qu'elle ressentait était partiellement sa faute. Alors, certes, il ne l'avait pas voulu, et Dieu seul savait à quel point ça le blessait de devoir la voir si malheureuse, depuis un écran ou le coin de la pièce.
Il aurait voulu dès le début, s'annoncer, lui dire qu'il était là et que cette fois encore il veillerait sur elle. Que ce n'était qu'une mauvaise épreuve, qu'elle réussirait avec brio. Qu'elle irait bien. Mais surtout, qu'il était désolé...
Car oui, peut-être serait elle heureuse de le voir. N'avaient ils pas été un duo inséparable pendant des mois ? Mais Elio ne se faisait aucune illusion, il savait que son cœur se sentirait trahis.
-"Je t'en prie, ne me déteste pas..."
Son murmure sonnait comme une supplication, une demande du cœur. Pourrait-il réapprendre à vivre en sachant la haine qu'elle lui portait ?
Cette pensée le faisait frissonner. C'était le même genre de sensation qu'il avait ressenti il y a quelques jours, quand on lui avait annoncé qu'Izel était de retour dans le monde conscient, mais qu'on l'avait déconseillé de l'approcher. À ce moment-là, il s'était contenté de l'observer, tandis qu'on lui expliquait qu'elle avait été kidnappée.
Il avait ressenti un dégoût envers sa propre personne tellement intense, il aurait pu en vomir. Il était celui qui l'avait arrachée à sa vie. Et pourtant, il aurait tout donné à l'heure actuelle pour revenir en arrière et la lui rendre. Parce que, ce quotidien qui était le sien, il en faisait partie.
Alors, quand il avait dû sortir, il s'était hâté de se rendre dans la salle de contrôle. À travers un écran de verre, il avait observé son amie s'écrouler littéralement.
Par la suite, alors que Jaromir lui déconseillait toujours de pointer le bout de son nez, c'était lui qui avait soumis la volonté de lui apporter certains effets personnels. Cette fois-là, en revanche, il avait été plus lâche et n'avait pas souhaité être témoins de plus de désarrois. Il savait que ce ne serait qu'une vague émotionnelle supplémentaire et couard qu'il était, il préféra fermer les yeux. Ces souvenirs l'aideront un minimum par la suite il en était certains.
Les trois premiers jours après son Réveil furent un calvaire autant pour lui que pour elle, pour la simple et bonne raison que la demoiselle semblait morte : refusant de parler, de manger, c'est à la limite si elle buvait. Les seules fois ou elle s'était levée, était pour aller aux toilettes. Elle possédait un cabinet attenant à sa chambre qui lui avait rapidement été introduit, mais il faut dire qu'avec le peu d'éléments qui entraient dans son corps, elle n'y allait pas souvent.
Jusqu'à il y a quelques heures. Comme la plupart du temps, Elio était derrière la vitre qui lui permettait de voir la jeune femme, mais qui n'était qu'un miroir de l'autre côté du mur, le masquant à ses yeux. Cette vitre était dotée d'une technologie permettait d'annuler cet effet de semi-transparence quand il était nécessaire de laisser de l'intimité à la jeune fille.
Depuis le début de l'après-midi, Izel fouinait dans son téléphone, observant tous les messages, tout ce qu'elle avait manqué qu'il pouvait contenir. Car oui, pendant longtemps, des gens avaient continué de lui envoyer des messages, dont ses parents, qui se confiaient à elle comme on le faisait dans un journal intime. Elio le savait bien, car il avait ouvert son portable avant de lui rendre, et il savait que lire les messages des ses proches serait important. Et ça eut le but escompté.
Dans la pièce, il avait vu Izel se redresser, alors qu'elle était tombée sur une vidéo que sa mère lui avait envoyé. De là où il était, il ne voyait bien entendu pas l'écran, mais il pouvait entendre le son qui en sortait.
Dans cette vidéo, Suzanne Ravira parlait à sa fille. Elle lui annonçait la bonne nouvelle, son frère Arthur s'était enfin réveillé après plus de 7 ans figé dans la glace. À travers différents détails qu'elle lui avait fournis, elle la suppliait surtout.
À cette époque, comme beaucoup de monde en 2030, elle pensait que ça ne pouvait pas être un hasard qu'une personne en particulier soit ciblée. Et, même si personne n'avait rien trouvé, Suzanne le pensait aussi. Comme toute mère, elle sentait quand un de ses poussins était en danger. Et dans son message, elle lui disait de faire bien attention, d'être courageuse lorsqu'elle se réveillerait. Si elle se réveillerait.
"Du blabla", avait d'abord pensé Elio en l'écoutant il y a quelques jours. Mais, ces mots, n'étaient que l'espoir d'une mère de retrouver sa fille, et ils avaient eu l'effet qu'il attendait.
Izel avait toujours beaucoup compté sur ses parents. Leurs encouragements lui faisaient se sentir importante à leurs yeux, et comme quand son père lui disait de s'accrocher quand elle perdait un tournoi en sport, ou que sa mère lui disait qu'elle était capable de réussir ses oraux de fin de semestre, ils lui insufflaient un regain d'énergie, d'aplomb, la faisant aller de l'avant.
Et c'est ce qu'elle fit.
Se levant, elle avait traversé la pièce avec une vivacité surprenante pour le manque d'énergie qu'elle possédait. Ses pas la menèrent jusqu'au miroir qui la séparait d'Elio.
Derrière cette vitre, il avait l'impression qu'elle était juste devant lui. Son regard était fatigué, mais une lueur de détermination, ou plutôt de rage, brillait lorsqu'elle appuya sur le bouton à sa droite.
"Izel ?" Retentis depuis l'interphone la voix de Jaromir. Il était vraisemblablement surpris. C'était la première fois qu'elle établissait un contact.
-"J'ai faim. Apportez-moi à manger, docteur." Elle avait ordonné d'une fois sèche et dénuée de toute sympathie.
Cette nouvelle attitude avait surpris tout le monde sauf Elio. Il savait qu'elle réagirait au bout de certains temps. Quand elle murmura qu'elle les ferait tous regretter, le jeune homme avait soufflé par le nez, en hochant la tête d'appréciation. Elle réapparaissait.
Elio sortit de ses pensées lorsqu'un murmure sortit des lèvres d'Izel. Alors quand il reconnut son propre prénom, ce qui signifiait probablement qu'elle rêvait de lui, il tendit la main. Ses doigts passèrent sur sa joue, et firent glisser une mèche de cheveux derrière son oreille.
Seulement, ce contact eut pour effet d'agiter la jeune femme, qui se redressa très rapidement. Alors, tel un chat, Elio se précipita dans un recoin de la pièce, dans l'ombre et hors de portée de sa vision endormie.
Il la vit balayer la chambre du regard, puis quand elle abandonna, il osa respirer un bon coup.
Il la vit sortir une photo qui lui était particulièrement familière, et quand elle se rendormit, il s'éclipsa.
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Âmes miroirs
FantasyEsterra semble être la réflexion de la Terre dans un miroir. La seule réelle différence était que ses habitants avaient connaissance de l'existence humaine. Ils la connaissaient au point que l'un de ses dirigeants entrepris d'enlever une jeune femme...