Chapitre 6

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    Je ferme les yeux un instant. Le bruit des petits bouts de papier que Madame Sterling remue me rappelle le printemps. Pendant une seconde, je suis avec mes parents et Eliza et nous sommes assis au pied d'un arbre dans une prairie. Les feuilles du grand chêne dansent avec le vent. Les rires de ma sœur, que papa chatouille, harmonisent avec la douce mélodie du bonheur. Les oiseaux en chorale s'invitent et chantent la liberté. Maman est assoupie, un sourire aux lèvres, les ombres du feuillage caressant son visage apaisé. Pendant une seconde, je suis loin de ce monde. Pendant une seconde, je respire. Pendant une seconde, je ne survis pas. Je vis.

    Je rouvre les yeux, retournant à la réalité. La lumière du projecteur éclairant la scène m'éblouit.

— Monsieur Amias Ashton !

    Madame Sterling tient entre ses longs doigts le résultat du premier tirage. Le nom du premier élu s'affiche sur les écrans ainsi que son visage. Les murmures se taisent et les regards des résidents se tournent vers un jeune homme qui se lève. Il reste planté là quelques secondes, regardant autour de lui avec un sourire en coin. Il a l'air fier comme un coq. D'un pas assuré, il se dirige vers la scène. Des caméras que je n'arrive pas à localiser suivent le visage confiant d'Amias.

    Arrivé sur l'estrade, il remet en place une mèche rebelle en passant lentement sa main dans sa chevelure noire. Ses yeux en amande s'étirent lorsqu'il sourit à Madame Sterling avant de baisser la tête pour la saluer.

— Félicitations, jeune homme ! applaudit-elle.

    Elle donne une tape amicale sur l'épaule d'Amias avant qu'il ne se mette en retrait sur la droite. Elle replonge ses mains vernies de rouge dans la boîte et remue. Son geste est théâtral. Elle attrape un petit bout de papier. Le silence dans la salle est impressionnant. Tout le monde semble retenir son souffle. Certains résidents ont les yeux fermés et croisent les doigts, priant sûrement pour être choisis. Pas moi. Je ne veux pas m'éloigner d'Eliza. Je ne peux pas risquer de la laisser derrière moi. Cette idée me fait gigoter les jambes. Un mouvement incontrôlable. Le bruit de mes semelles contre le sol résonne dans tout l'auditorium. Personne ne semble s'en soucier, sauf Lucinda qui se racle la gorge. Je mets toute ma concentration pour calmer mes nerfs.

Un...deux...trois...quatre...

— Mademoiselle Elara Thorne !

    Non. Ce n'est pas possible. Je regarde autour de moi comme si j'avais un homonyme dans l'assemblée. Lucinda me regarde avec un sourire hésitant.

— C'est toi, Ela.

    Je me lève sans même m'en rendre compte. Tout mon corps tremble. Mon cœur bat si fort que je pourrais parier que tout le monde l'entend.

— Venez, jeune fille, me demande Madame Sterling, un grand sourire pour tenter de cacher son aigreur.

    C'est bien la première fois que je partage quelque chose avec elle. La déception est accablante. Si je pouvais donner ma place à Lucinda je le ferais. Je suis sûre qu'elle serait enjouée.

    Je me dirige vers l'estrade lentement. Mes yeux sont attirés par les écrans où mon visage est affiché. Une photo dont je n'ai aucun souvenir avoir prise. Les regards sont braqués sur moi. Certains chuchotent, d'autres me dévisagent, sûrement rongés par la jalousie. Je culpabilise presque d'être autant réticente à l'idée d'avoir Serena pour mentor.

    Arrivée sur la scène, je vois de plus près l'expression de désenchantement que Madame Sterling tente de cacher. Sa lèvre supérieure parfaitement maquillée est légèrement retroussée. Ses yeux sont voilés par son aigreur. Je lui adresse mon plus beau sourire, motivée par l'idée de la contrarier un peu plus.

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