Chapitre 10

8 2 5
                                    

    Nous pénétrons dans le train. Le moteur qui vibre sous mes pieds résonne jusque dans ma poitrine. Les sièges, recouverts d'un tissu rugueux qui gratte à travers mes vêtements, sont d'un bleu délavé, presque gris, leur couleur passée trahissant les innombrables voyages déjà accomplis. L'air est sec, chargé d'un parfum de désinfectant et de sueur discrètement masquée.

    Je m'assois à côté de la fenêtre, laissant mon front froid se presser contre la vitre. Depuis mon exhibition émotionnelle, Kael ne m'a pas adressé la parole. Je sais qu'il comprend que j'ai besoin de ce silence, de ce moment pour moi-même. Le bruit rythmique des roues contre les rails se fond dans le murmure lointain des autres passagers.

    Je ferme les yeux un instant, espérant que l'obscurité calme ma respiration, mais les visages de mes parents surgissent aussitôt derrière mes paupières closes, grotesquement déformés par les mots « terroristes » et « exécutés » qui s'imposent, se superposent, envahissent chaque recoin de mon esprit. Une chaleur étouffante monte dans ma gorge, et j'ouvre les yeux d'un coup, cherchant désespérément un autre point de focalisation, une échappatoire.

    Une voix feminine retentit dans le wagon, annoncant les informations pertinantes au voyage.

— Mesdames et Messieurs, bienvenue à bord de notre train L7111 en direction de Lirben. Des collations ainsi qu'un rafraîchissement seront offerts aux passagers de l'Élite ainsi qu'aux Premières Classes. Un membre de l'équipage passera dans chaque voiture pour vérifier le statut de chaque passager et veiller à ce qu'aucun Seconde Classe ou Indésirable ne se trouve à bord. Nous veillons au confort de nos citoyens les mieux notés.

    Kael lâche un petit rire de désaccord.

— Je ne m'y ferai jamais, lâche-t-il dans un soupir.

    Je me tourne vers lui. Il a la tête contre son siège et fixe l'écran en hauteur de l'allée centrale qui diffuse des images de notre chancelier.

— À voir ces images, on pourrait croire qu'il s'agit d'une religion, crache-t-il. Regarde tous ces gens qui le saluent, tous ces Sentinelles prêts à tirer sur quiconque le regarderait de travers.

— Chut, K, j'exige. Ne dis pas ça. Du moins pas aussi fort.

— Je sais que tu penses comme moi. Je le vois dans tes yeux. T'as une lueur rebelle, une lueur d'espérance.

— C'est faux.

— Ne mens pas, Ela. Je te connais. T'es la seule personne que je connaisse qui ne se soit pas totalement abandonnée aux bras d'Austerra. Il n'y a qu'en toi que je vois de l'espoir. Tout le monde a abandonné, sauf toi.

— Oui, et bien ça ne devrait pas tarder. Ce que j'ai vu tout à l'heure, c'était le coup fatal.

    Il secoue lentement la tête puis sourit.

— Au contraire, Ela, je pense plutôt que tu devrais te servir de ce poignard et le retourner contre ceux qui sont responsables de tout ça.

    Est-ce qu'il est vraiment en train d'insinuer que je me mette tout le système à dos ? C'est chimérique de croire que je pourrais avoir un impact quelconque.

    Je pose ma tête sur l'épaule de Kael, espérant trouver un peu de répit dans ce contact familier. Mais dès qu'il pose sa main sur ma cuisse, un frisson inattendu me parcourt. C'est étrange... Nous avons toujours été très affectueux l'un avec l'autre, mais cette fois, c'est différent. Une partie de moi voudrait ignorer cette sensation, la ranger dans la catégorie des gestes innocents que nous avons partagés depuis notre enfance. Pourtant, une autre partie, plus profonde, refuse de rester indifférente.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Aug 23 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

AUSTERRAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant