Chapitre 2 :

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  (pdv d'Isabelle)

   Je finis de faire mon sac puisqu'Anaïs organise une de nos célèbres soirées entre potes. Et c'est rare ça.
  Elle est sortie de l'hôpital il y a seulement quelques mois et commence tout juste à accepter de remanger. Même si elle refuse de cuisiner, elle réussit à avaler des portions de salades équivalentes à celles d'un enfant d'à peine dix ans. Aujourd'hui elle en a dix-huit. C'est donc Christine, sa belle mère qui s'occupe des plats.
  Je vérifie mon téléphone régulièrement en attendant des nouvelles de Suzie. Hier, elle m'a appelé pour parler de la soirée d'Anaïs. Elle ne me semblait pas en pleine forme mais je sais qu'elle ne dort pas beaucoup la nuit. On a raccroché assez rapidement. Et depuis, pas de nouvelles. Ah si, un SMS chelou avec un "U" en majuscule. Mais j'imagine qu'elle a fait une faute de frappe.
  Je réussi enfin à boucler mon sac avec peine. Il m'a fallu essayer douze fois. Parce que oui, c'est pas parce qu'on passe qu'une seule nuit là bas et que nous habitons à une maison d'écart que je ne prends pas toutes mes affaires. Mon sourire s'élargit en pensant que les garçons vont arriver avec un caleçon propre et un t-shirt. Alors que je transporte quatre tenues différentes ; un pyjama banal (short, t-shirt à manches courtes que j'ai possiblement emprunté à mon frère), une tenu de sport, une tenu décontracte et une tenu de rechange pour le lendemain. Et encore, je ne serai pas là plus chargée, j'ai vu la story de Debbie et je peux assurer que son sac ne rentre pas en entier dans le cadre. Avant de partir, je prend mon bagage en photo, la poste sur insta avec la même légende qu'à chaque fois et en mentionnant Anaïs. Je jette ensuite mon sac sur mon épaule droite et descends en chantonnant. Je passe devant la salle de bain et je m'y arrête pour m'observer une dernière fois avant de partir.
  Le miroir me renvoie l'image d'une jeune femme de dix-sept ans, souriante, le teint bronzé par la chaleur d'été. Mes cheveux châtains foncés, qui se sont drastiquement éclaircies et ont désormais quelques mèches blondes, tombe en cascade sur mes épaules. Mes joues sont roses et possèdent chaqu'une une petite focette. Mes yeux bleus sont aussi clairs que ceux de ma mère et ils ont une pointe de doré dans les prunelles.
  On m'a toujours dit que je suis là version féminine de mon frère. Car même si nous sommes jumeaux, il y a forcément un grand et un petit. Bah c'est lui le grand. Et moi, la petite.
  À l'école, on a toujours été dans la même classe, et il m'a toujours protégé. Parce que c'est son rôle dit-il.
  Physiquement, nous nous ressemblons. Pas mentalement.
  Il est introverti, moi extravertie. Il n'a que quelques amis et des connaissances de foot, moi j'ai toujours eu le bahut en entier. Il est timide pas moi. Il est mature, moi hyper active. Il adore lire, j'aime le sport. Bref, nous ne sommes pas la même personne ! Et ça, y a des gens qui le comprennent pas.
  Je sors de la salle de bain et me dirige vers le salon. J'entends des sanglots étouffés et des paroles pas si rassurante que ça. J'entre et trouve assis sur le canapé mon frère, la tête dans les mains qui se cache les yeux. Il se tient à côté de ma mère qui passe une main rassurante dans son dos. Quand ils me voient, leur mines deviennent encore plus sombres et triste. Mon frère essuie ses yeux comme si il n'avait pas le droit de pleurer. Mon père se décale légèrement et me montre la place entre lui et la mère. Elle se détourne de mon frère, les yeux embrumés et m'invite à m'asseoir en m'agrippant fermement le bras et me tirer vers elle. Elle me tend ensuite une toute petite enveloppe avec mon nom inscrit dessus à la main.
  L'écriture...
  Suzie ?
  J'ouvre l'enveloppe et mon cœur loupe un battement.
  Sa clé en forme de trèfle à quatre feuilles qui pend autour de la petite chaîne rouillé qu'elle porte habituellement autour du coup.
  Elle nous a raconté que si un jour elle l'a retirée, se sera la fin. Non...
  Je relève la tête vers mes parents qui pleurent toujours. Je sens les larmes me monter aux yeux. J'ai l'impression que mon cœur s'arrête, que le reste de ma vie n'aura plus aucun sens.     J'ai perdu mon étoile, ma vie, ma meilleure amie, ma Suzie...
  Je regarde mon frère qui est incapable de relever la tête vers moi. Ma mère pleure à chaudes larmes et essaye de poser sa main dans mon dos. Mais je me relève subitement, je suis incapable de rester ici. Je ne peux plus. Je prends le collier dans l'enveloppe et vois également son bracelet vert en pierres avec un trèfle. Je le prends aussi. Et fuis.
  Je sors en courant dans la rue, je me sens vide. Totalement vide. Je lève les yeux vers le ciel et la supplie de redescendre. Je veux la revoir. La serrer dans mes bras en lui promettant de rester avec elle de l'épauler. Mais c'est trop tard.
  Et putain, je m'en veux....
  Je sens mon corps devenir de plus en plus lourd. Et je m'éfondre en poussant un cris de détresse. Je commence à hurler, pleurer, à me noyer dans les souvenirs, mon corps est secoué de spams. Je sens que mes genoux sont écorchés à vif, je vois quelques gouttes de sang sur le goudron mais je m'en fiche. Je hurle ma peine. Je veux qu'elle l'entende. Mais je veux la laisser dormir. Sans la réveiller. Mais j'en suis incapable. Je cris, pleure, hurle....
  Non, je ne peux pas la laisser partir sans rien dire.
  Elle me manque déjà beaucoup trop. Je veux la revoir. Je veux aller la retrouver. Je veux partir moi aussi.
  Anaïs ?
  Elle me regarde sans comprendre, puis ses yeux se posent sur les bijoux que je tiens entre les mains, ils s'embrument d'un seul coup et elle se laisse également tomber au sol à côté de moi. Je ne sais pas combien de temps nous restons ainsi, à hurler inconsciemment.
  Au bout d'un long, très long moment, je sens une main se poser sur mon épaule et me plaquer contre un torse. Je reconnais son odeur réconfortante, c'est cette même odeur qui m'apaise depuis que je suis toute petite. Elle enveloppe mes narines et me sauve encore une fois des ténébres. J'agrippe le tissu de son t-shirt que j'ai déjà dû lui piquer cinq cents fois. Il me prend dans ses bras et me berce comme une petite fille. Comme quand nous étions petits. Mon frère a toujours été un de mes repères, mes là, il est plus. C'est un pilier.
  Là, je sais que je ne peux pas compter sur les filles pour surmonter cette épreuve. Après tout, on est toute dans le même état.
  Maël passe ses bras autour de moi et me porte jusqu'à chez Anaïs où elle repose déjà au milieu des coussins. Mon frère me dépose à côté et me donne un léger baiser sur le front tout en me murmurant des paroles réconfortante que je n'ai pu percevoir. Il s'éloigne ensuite de moi et chasse les larmes qui pendent à ses cils. Je le regarde lutter pour ne pas sombrer avec moi. Il ne connaissait pas très bien Suzie, mais, il s'est toujours bien entendu avec mes potes. Il doit être triste lui aussi.
  Les souvenirs défilent et font couler davantage de larmes sur mes joues déjà inondées. Je me sens incapable de regarder Anaïs et continue de fixer le ciel comme si je pouvais la voir. Mes yeux se ferment quelques secondes, seulement quelques secondes, mais assez pour revoir son visage doux et accueillant derrière mes paupières closent. Je réouvre mes yeux et baisse la tête pour regarder mes genoux bizarrement désinfectés et bandés. Je dois être tellement mal pour ne pas avoir remarqué que Maël s'était occupé de mes genoux.
  Suzie... Ma vie entière, mon amie, ma meilleure amie...
  Pourquoi elle ?
  Mes sanglots redoublent et je m'éfondre une nouvelle fois sur les coussins. Je sens à nouveau la même main rassurante se poser sur mon épaule et le serre légèrement. Assez pour me faire comprendre que je ne suis pas seule et que je fais encore partie de ce monde mais elle me laisse également de la place. Elle n'est pas trop oppressante. Je remercie intérieurement mon frère, mais je suis incapable de parler. À côté de moi, je ne perçois que la voix d'Anaïs qui répète inlassablement Suzie, comme si cela la ferai revenir. Je ferme les yeux et mes dernières larmes franchissent la barrière de mes paupières.
  Je me souviens d'une phrase qu'elle me répètait souvent quand je pleurais :
  "Personne ne mérite les larmes qui coulent sur tes joues, ils ne méritent pas de te voir ou de te savoir si faible. Mais pleurer, ça fait du bien. Nous, on sera toujours là pour toi. Promis."
  J'explose. Je pousse un cri horrible ; elle mérite toute les larmes du monde. Je pourrais inondées la planète avec ma tristesse. Elle est partie. Elle ne sera plus jamais là pour moi. La colère commence à prendre le dessus sur ma peine. Elle nous a abandonné, elle nous a menti. Puis soudainement, la culpabilité réapparaît.
  Mais si elle est partie, c'est peut être parce qu'on a jamais été là pour elle. Mes nerfs lâchent, je tombe du canapé, m'allonge sur le sol, regarde le plafond une dernière fois avant de fermer les yeux.
  J'espère ne jamais les rouvrir. Je veux partir avec elle. Pourquoi est elle partie sans nous?
  Une larme coule le long de ma joue.
  Suzie, dis moi comment partir...
 

On Edge : Et même après je vous aimerez Où les histoires vivent. Découvrez maintenant