Chapitre 15

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Côme

Le général nous attendait dans la salle des comptes-rendus, immobile et imposant. Clovis et moi avancions en silence, nos pas résonnant faiblement dans l'air tendu. Une étrange agitation montait en moi. Tout était censé être clair : trouver Alana, la ramener ici, et veiller à ce qu'elle accomplisse sa destinée. Mais une ombre subsistait, une idée que je ne pouvais chasser de mon esprit.

Personne ne m'avait demandé de tuer Alana.

C'était moi qui avais pris cette décision, en secret. Mon désir de vengeance m'avait aveuglé, nourri par la haine que je portais envers Abrina pour la mort de ma mère. Je l'avais considérée comme responsable du poison qui avait tué Cassandra. La colère avait toujours été mon guide, et quand j'ai appris l'existence d'Alana, ce désir de la tuer s'était imposé à moi, comme une évidence. Elle devait payer pour les fautes de sa mère.

Mais aujourd'hui, après l'avoir côtoyée, tout cela semblait bien plus compliqué.

Nous arrivâmes enfin devant le général, et Clovis, comme toujours, entra directement dans les détails de la mission. Il resta fidèle à son rôle, ne laissant aucun détail de côté, sauf un. L'information qui me rongeait depuis un moment.

Quand le général se tourna vers moi, je sentis son regard scrutateur. Je savais que je devais poser la question qui me hantait depuis quelque temps.

— Côme, des compléments d'information ? demanda-t-il de sa voix autoritaire.

Je pris une grande inspiration. Ce détail me paraissait crucial, et il devait être soulevé.

— Général, il y a une information absente des rapports. Alana a mentionné une sœur, Laura, qui est morte dans un accident. Pourtant, cette donnée ne figure nulle part dans les dossiers de son entourage. Cela me semble... étrange.

Le général fronça légèrement les sourcils, mais garda son air impassible.

— Laura est morte, et cela ne change rien, répondit-il d'un ton sec. Ce qui compte, c'est qu'Alana soit ici et qu'elle se concentre sur les épreuves. Le reste, ce sont des détails insignifiants.

Son indifférence me surprit. Mais je savais que le général ne se préoccupait que de ce qui était immédiatement utile. Pour lui, tant qu'Alana était prête à affronter ses épreuves, ce genre de détails n'avait pas d'importance. Pourtant, je n'arrivais pas à me débarrasser de cette sensation que quelque chose nous échappait. Laura ne figurait pas dans les rapports, mais cela n'était pas normal.

Je décidai de ne pas insister davantage et baissai légèrement la tête en signe de respect. Ce n'était ni le lieu ni le moment pour pousser cette enquête plus loin. Cependant, une autre idée tournait sans cesse dans mon esprit.

— Le Conseil a exigé que vous soyez tenus informés de toute attaque potentielle, continua le général, changeant légèrement de ton. Nos espions ont découvert des indices prouvant que quelqu'un tente activement de tuer Alana. Nous devons maintenir une vigilance constante. Je vous tiendrai au courant des avancées.

Je sentis une montée d'angoisse. Les attaques récentes étaient-elles l'œuvre de cette menace mystérieuse, ou était-ce plus profond que cela ? Le général était réputé pour son sang-froid, mais son implication dans cette affaire m'inquiétait davantage que je ne voulais l'admettre.

Lorsque nous quittâmes enfin la salle du conseil, je me perdis dans mes pensées. Il y a encore quelques semaines, je n'aurais pas hésité une seconde à tuer Alana pour venger ma mère. Aujourd'hui, les choses étaient bien plus floues. La jeune femme que j'avais appris à connaître était tout aussi prise au piège par les obligations de son destin. Tout comme moi, elle n'avait pas choisi sa vie. Elle avait, elle aussi, perdu des êtres chers. Cette réalité me frappait de plein fouet.

Je gardais encore une rancœur sourde envers Abrina. Mais la haine, dirigée vers Alana, s'éteignait lentement, comme une flamme vacillante. Elle n'était pas responsable des actes de sa mère, tout comme je n'avais pas demandé à être mêlé à cette guerre de pouvoirs. Je me retrouvais malgré moi en elle. Peut-être que notre destinée commune n'était pas d'être des ennemis, mais... cela restait à prouver.

Clovis sembla remarquer mon agitation alors que nous marchions dans le couloir, mais il n'ajouta rien. Il respectait mon silence, comme il l'avait toujours fait. Pourtant, mes pensées étaient déjà tournées vers les épreuves à venir. Alana allait-elle réussir ? Pourrait-elle prouver sa valeur et assurer sa place dans ce monde si cruel ?

Alors que nous nous dirigions vers la salle du trône, je me rendis compte que son succès ou son échec devenait bien plus important pour moi que je ne voulais l'admettre.

Nous arrivâmes enfin devant les grandes portes de la salle du trône. Les gardes nous laissèrent passer sans un mot. Mon père, le roi du Royaume du Feu, nous attendait.

Dès que nous franchîmes le seuil, son regard se posa immédiatement sur moi, brillant d'une certaine satisfaction.

— Côme, tu as bien rempli ta mission. Tu as trouvé Alana et l'as ramenée ici, comme convenu. Félicitations, mon fils, dit-il avec une pointe de fierté dans la voix.

Je sentis son regard pesant, mais mon esprit se tourna instinctivement vers Séraphine, qui se tenait droite à mes côtés. Elle avait autant, sinon plus, contribué à cette enquête. Elle avait été méthodique, patiente, et c'était grâce à elle que nous avions pu retrouver Alana. Pourtant, mon père ne la mentionna même pas.

— Nous avons réussi à la localiser ensemble, père, dis-je mais sans vouloir provoquer un conflit direct.

Il balaya mon commentaire d'un geste de la main, déjà trop concentré sur ce qu'il considérait comme la véritable priorité.

— Maintenant, l'important est que tu te concentres sur ton mariage avec elle. La situation doit être réglée rapidement, avant que quelqu'un ne remette en question sa légitimité, dit-il, sa voix prenant un ton plus grave.

Je serrai les mâchoires. Voilà où il voulait en venir. Tout cela ne concernait pas uniquement les épreuves ou la survie d'Alana. Pour lui, tout était question de pouvoir, d'alliance.

Séraphine s'avança alors, brisant le silence.

— Père, nous n'avons pas encore informé Alana de ces fiançailles, dit-elle calmement. Elle doit d'abord se concentrer sur ses épreuves. C'est une question de vie ou de mort pour elle, et nous ne voulons pas la distraire.

Le roi fronça les sourcils, visiblement agacé.

— Vous attendez quoi exactement ? Nous n'avons pas le luxe de perdre du temps avec ces enfantillages ! s'emporta-t-il.

Après un blanc il reprit la parole.

— C'est ridicule, mais j'accepte, répliqua-t-il finalement en soupirant. Mais vous devez lui dire le dernier jour des épreuves.

Je gardai le silence, préférant ne pas envenimer la discussion. Il fallait du temps. Le plus important pour moi, c'était désormais de savoir si Alana était prête à affronter ce qui l'attendait.

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