Les Masques Tombent

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Les jours passèrent, et Fatou s'enfonçait de plus en plus dans la spirale des apparences. Chaque matin, elle s'habillait avec soin, souriait aux domestiques de la villa, et endossait son rôle d'épouse parfaite. Cheikh semblait satisfait, mais elle voyait dans ses yeux qu'il en attendait toujours plus. Le pacte qu'ils avaient scellé, ce mariage de façade, était en train de se transformer lentement en un piège invisible.

Un soir, après une longue journée d'études, Fatou rentra à la villa, fatiguée et nerveuse. Les attentes de Cheikh devenaient de plus en plus claires, et elle sentait que le fil qui tenait leur accord fragile était sur le point de se rompre. Elle se changea rapidement et se dirigea vers la salle à manger où Cheikh l'attendait pour le dîner. Comme d'habitude, il était assis, impeccablement habillé, et la salua avec ce même sourire poli qu'elle commençait à détester.

Tu es belle ce soir, Fatou, dit-il calmement, sans cesser de la fixer.

Fatou hocha la tête en guise de remerciement, mais elle n'avait pas le cœur à répondre. Tout dans cette situation la rendait mal à l'aise, mais elle savait qu'elle devait jouer le jeu.

Ils dînèrent en silence pendant quelques minutes, les couverts résonnant doucement dans la grande salle. Puis, comme s'il avait senti que le moment était venu, Cheikh posa son verre et brisa le silence.

Fatou, il est temps que nous parlions de la suite.

Fatou releva les yeux, surprise. Elle savait que cette conversation allait arriver, mais elle n'était pas prête à l'entendre maintenant. Pas ce soir.

De quoi veux-tu parler ? demanda-t-elle d'une voix hésitante.

Cheikh s'appuya légèrement sur la table, son regard perçant la faisant frissonner.

Nous sommes mariés depuis quelques semaines maintenant. Et bien que nous ayons un accord, il est temps de penser à l'avenir.

Elle sentit une vague d'angoisse monter en elle. Quel avenir ? Tout ce qu'elle avait accepté jusqu'à présent n'était que temporaire, une illusion. Ils n'avaient jamais parlé de ce qui viendrait après, ni de ce qu'il attendait d'elle au-delà des apparences.

Je croyais que nous étions clairs dès le départ, répondit-elle avec prudence. Ce mariage n'était censé être qu'une façade. Tu m'avais promis que je serais libre.

Cheikh hocha la tête, mais son sourire se durcit légèrement.

Je t'ai promis de ne pas te forcer, et je tiens toujours cette promesse. Mais nous devons réfléchir à ce que cela signifie pour nous deux. Les gens commencent à parler, Fatou. Ils se demandent pourquoi nous ne sommes pas plus proches, pourquoi tu sembles si distante.

Fatou serra les poings sous la table, tentant de garder son calme. C'était donc ça ? Il commençait à poser des exigences, à lui rappeler que leur mariage n'était pas aussi vide de sens qu'elle l'avait espéré.

Je fais de mon mieux pour respecter cet accord, répondit-elle fermement. Mais je ne suis pas prête à... à aller plus loin que ce que nous avons convenu. Je veux simplement vivre ma vie, comme nous l'avons dit.

Cheikh se pencha légèrement en avant, ses yeux brillant d'une lueur indéchiffrable.

Je comprends, Fatou. Mais ce que tu dois aussi comprendre, c'est que ce mariage, même s'il n'est qu'une façade, doit être crédible. Nos familles attendent plus. La société attend plus. Et moi aussi, à vrai dire.

Ces derniers mots résonnèrent dans l'esprit de Fatou comme une alarme. Moi aussi. Cheikh avait toujours été courtois, patient, mais elle sentait que quelque chose changeait en lui. La façade tombait, révélant une autre facette de sa personnalité, plus calculatrice, plus pressante.

Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda-t-elle, le cœur battant à tout rompre.

Cheikh se leva doucement et fit le tour de la table, s'approchant d'elle avec une lenteur qui la fit frissonner. Il posa une main sur le dossier de sa chaise, la regardant d'un air presque possessif.

Je pense qu'il est temps pour nous de nous rapprocher. Nous sommes mariés, après tout. Je ne t'ai pas forcée à quoique ce soit, mais je suis un homme, et un mari. Il est naturel que nous devions être plus qu'un simple couple d'apparence.

Fatou se raidit. C'était ce qu'elle redoutait. Cheikh commençait à réclamer ce qu'elle n'avait jamais voulu lui donner, ce qu'elle n'avait jamais accepté dans cet arrangement. Elle se leva brusquement, reculant légèrement pour mettre de la distance entre eux.

Ce n'était pas notre accord, Cheikh, dit-elle d'une voix tremblante, mais ferme. Je ne t'ai jamais promis plus que cela.

Il l'observa un instant, son sourire s'effaçant complètement, laissant place à une expression plus dure.

Et combien de temps comptes-tu me tenir à l'écart, Fatou ? demanda-t-il, la voix basse mais tranchante. Je t'ai donné de l'espace, j'ai respecté tes demandes. Mais je ne suis pas un homme que l'on peut ignorer indéfiniment. Tu as une responsabilité envers moi.

Elle sentit une vague de panique monter en elle. Responsabilité ? C'était cela qu'il attendait depuis le début, ce qu'il n'avait jamais dit clairement : qu'elle cède, qu'elle accepte un mariage qui ne serait plus seulement une façade, mais bien une véritable union.

Ce mariage n'a jamais été réel pour moi, Cheikh, répondit-elle, la gorge serrée. Je ne t'aime pas, je ne t'ai jamais voulu. Tu ne peux pas me demander ça.

Cheikh croisa les bras, la fixant d'un regard glacial.

Peut-être que tu n'as pas voulu ce mariage, mais tu y es maintenant. Ce n'est pas juste une question de ce que tu veux, Fatou. Il y a des attentes, des devoirs.

Fatou recula encore, son dos heurtant le mur derrière elle. Le poids de ses paroles la submergeait. Elle avait cru pouvoir éviter le pire, mais elle voyait maintenant clairement que Cheikh attendait bien plus d'elle. Les promesses d'une liberté illusoire s'étaient effritées, révélant une réalité plus sombre.

Je ne suis pas une obligation, murmura-t-elle, le souffle court.

Cheikh s'approcha lentement, son visage fermé.

Non, tu es ma femme. Et il est temps que tu commences à agir comme telle.

À ces mots, Fatou sentit un mélange de peur et de colère l'envahir. Elle n'allait pas se laisser dicter sa vie, pas encore. Pas après avoir sacrifié tant de choses pour préserver un semblant de liberté. Le regard déterminé, elle prit une profonde inspiration et décida que ce soir serait le point de rupture.

Si tu penses que je vais céder à tes attentes, tu te trompes, dit-elle d'une voix plus forte qu'elle ne s'y attendait. Je ne suis pas un objet que tu possèdes. Si tu veux un mariage réel, tu t'es trompé de personne.

Cheikh s'arrêta net, surpris par le ton de Fatou. Un silence lourd s'installa entre eux, où tout semblait possible. Les masques étaient tombés, et maintenant, le vrai visage de leur relation commençait à se dévoiler.

Nous verrons combien de temps tu tiendras, dit-il finalement, la voix froide avant de tourner les talons.

Fatou resta immobile, le souffle court, son cœur battant à tout rompre. Elle savait qu'elle venait de franchir une ligne, et que rien ne serait plus jamais pareil.

La bataille ne faisait que commencer.

Sous le Poids des TraditionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant