Sous les projecteurs

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Harry se tenait au centre du studio, la respiration suspendue, les yeux rivés sur son reflet dans le grand miroir qui occupait tout un mur. La lumière froide et crue du matin perçait à travers les fenêtres hautes, projetant des ombres nettes sur le parquet poli. Le silence était oppressant, seulement interrompu par les respirations des autres danseurs qui s'échauffaient autour de lui.

Il était tôt, très tôt. Le conservatoire était encore presque vide, les corridors déserts, mais lui était déjà là, comme chaque jour. Il préférait arriver avant les autres, se donner le temps de s'étirer, de s'échauffer, de se préparer mentalement pour les heures qui allaient suivre. La discipline faisait partie de sa vie, elle était inscrite dans sa chair, gravée dans ses muscles. La danse n'était pas seulement une vocation, c'était une nécessité, une force vitale qui dictait ses mouvements, ses choix, sa vie tout entière.

Pourtant, ce matin, il se sentait différent. Il y avait un poids sur ses épaules, une tension familière, mais aujourd'hui elle semblait plus lourde, plus difficile à supporter. Il repensait à la nuit dernière, à Louis, à ses mots, à sa douceur. Il entendait encore sa voix lui murmurer qu'il était plus qu'un danseur. Cette phrase résonnait en lui comme une question qu'il ne savait comment répondre. Comment pourrait-il être plus que cela, alors que toute son existence, toute son identité, était liée à la danse ?

Harry chassa ces pensées d'un mouvement brusque de la tête. Il devait se concentrer. Il ne pouvait pas se permettre d'être distrait, pas ici, pas maintenant. Il exhala lentement, ferma les yeux un instant, et se força à calmer les battements erratiques de son cœur. Puis, il se mit en position, le dos droit, les bras tendus, les jambes solides comme des racines ancrées dans le sol.

La répétition commença. La musique, puissante et envahissante, emplit le studio, dictant le rythme de chaque mouvement, de chaque geste. Harry laissa son corps suivre le flux de la mélodie, se laissant porter par les notes qui résonnaient en lui comme un appel profond. Ses muscles se tendirent et se relâchèrent dans un enchaînement fluide, un ballet de force et de grâce.

Mais malgré la beauté de ses mouvements, il sentait cette faille intérieure, cette petite fissure qu'il ne parvenait pas à colmater. Chaque fois qu'il se regardait dans le miroir, il voyait ses défauts, ses faiblesses. Sa jambe droite qui ne montait pas assez haut, l'angle de ses bras qui n'était pas assez parfait. Il sentait le poids des regards critiques de ses professeurs, des autres danseurs, des juges imaginaires qu'il portait en lui.

Le professeur de danse, un homme aux cheveux grisonnants et à l'air sévère, s'approcha de lui et corrigea sa posture d'une main ferme. "Concentre-toi, Harry. Tu dois être plus précis. Tu perds ta ligne, ici." Sa voix claqua comme un fouet, et Harry acquiesça, la mâchoire serrée, refoulant l'angoisse qui montait en lui.

Il recommença, encore et encore, cherchant la perfection à chaque pas. Mais la fatigue s'insinuait dans ses muscles, sa concentration vacillait. Il commença à penser à Louis, à son sourire, à la façon dont il regardait le monde avec tant d'ouverture, de curiosité. Comment pouvait-il, lui, être aussi libre, aussi léger, quand tout, autour de Harry, semblait être un combat ?

À un moment, ses pieds glissèrent légèrement sur le parquet, un mouvement manqué, une erreur à peine visible. Pourtant, il sentit immédiatement le regard du professeur se poser sur lui, lourd de reproche.

"Harry ! Encore !" ordonna-t-il, impitoyable. "Recommence. Cette fois, fais-le correctement."

Harry hocha la tête, se mordant la lèvre pour empêcher les larmes de frustration de monter. Il savait qu'il ne pouvait pas se permettre de flancher, pas ici, pas maintenant. Mais la voix de Louis résonnait encore dans son esprit, douce et insistante. "Tu n'es pas qu'un danseur."

Il recommença, tentant de se concentrer, de chasser les pensées intrusives qui menaçaient de le distraire. Mais la fatigue mentale et physique le rattrapait, et il sentait son cœur battre trop vite, trop fort, ses mouvements perdant en précision. Ses pieds se dérobaient sous lui, ses bras tremblaient légèrement.

Et puis, il y eut un moment de rupture. Une seconde de trop où il perdit pied, où son esprit vagabonda trop loin. Il glissa à nouveau, mais cette fois, il ne parvint pas à se rattraper. Son pied s'entortilla, et il chuta lourdement sur le sol.

Le silence tomba soudain dans le studio, un silence de plomb. Tous les regards se tournèrent vers lui. Harry resta un instant allongé sur le sol, sentant la brûlure de l'humiliation monter dans sa gorge. Le professeur s'approcha, ses pas résonnant dans le vide.

"Harry, qu'est-ce qui se passe avec toi aujourd'hui ?" demanda-t-il, son ton froid, presque méprisant. "Tu es ailleurs, et ça se voit. Tu penses à quoi, exactement ?"

Harry se redressa lentement, son regard fixé sur le sol, incapable de répondre. Il ne pouvait pas dire la vérité, pas ici. Il ne pouvait pas parler de Louis, de ses pensées qui s'égaraient, de sa lutte contre lui-même.

"Rien," murmura-t-il finalement, la voix basse. "Je suis désolé."

Le professeur secoua la tête. "Désolé ne suffit pas, Harry. Si tu veux vraiment réussir ici, tu devras faire bien plus que ça."

Harry hocha la tête, sentant la honte l'envahir. Mais au fond de lui, une petite voix persistait. La voix de Louis, douce et insistante, qui lui murmurait qu'il pouvait être plus que ce que ce miroir renvoyait. Mais comment le croire, quand tout ce qu'il voyait ici, sous ces projecteurs implacables, c'était ses propres imperfections ?

À travers les OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant