Chapitre 2

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Minho

Qu'est-ce qui m'a poussé à déclarer Felix volontaire avec moi ?

Tester ses capacités ? Le mettre en difficulté avec le montage des tentes ? Voir quel type de personne il est ?

Passer du temps seul avec lui ?

Un ricanement tente de remonter ma gorge à cette pensée.

Du temps seul avec lui, j'en aurais : nous sommes tente-mate. Bangchan me l'a appris à l'aéroport, pendant que nous attendions notre embarquement et qu'il m'a résumé les informations décidées lors de la réunion de préparation du camp. Réunion à laquelle je n'ai pas pu aller.

— Trois ou quatre enfants par tente, m'a-t-il rapidement dit. Je partagerai la mienne avec les chauffeurs, c'est la plus grande. Les tentes des moniteurs sont plus petites, vous serez par deux. Hyunjin et Changbin ont voulu être ensemble. Ils se connaissent bien, c'est normal. Sullyoon et Yeji seront en binôme, ce sont les deux seules filles de l'équipe, c'est normal aussi. Donc, Felix et toi serez ensemble.

Felix.

Un visage d'elfe angélique au sourire perpétuel. Un regard sans cesse empreint d'un mélange de curiosité et de joie innocente. Une aura à la fois pure et sensuelle.

Ma première vision de lui, à l'aéroport, m'a déstabilisé. À la manière dont ma gorge s'est serrée, dont mon cœur s'est soudain emballé, et dont mes paumes sont devenues moites, j'ai compris que les deux mois à venir seraient compliqués pour moi. J'ai éprouvé un vrai soulagement à pouvoir me cacher sous mon bob. À pouvoir épier Felix sans qu'il puisse le voir.

Je m'assume pleinement... dans le cadre rassurant de ma famille et de deux amis proches (dont l'un est un ex et l'autre une amie avec qui j'ai grandi depuis quasi la naissance). C'est plus difficile en dehors. Pas parce que je crains les regards ou les critiques, ni même les moqueries ou l'agressivité. Cela, je m'en moque ; je peux les gérer et me défendre seul. Mais parce que je crains les conséquences que mes proches risquent, à cause de mon orientation. Au quotidien, l'habitude a rendu « facile » de porter un masque au grand jour, et d'attendre les ombres pour m'exprimer vraiment.

Ici... Loin de la Corée, sur un continent où tout est mieux toléré, voire accepté, il va m'être compliqué de résister... surtout quand Changbin et Hyunjin, visiblement en couple, semblent décidés à profiter de ce voyage pour vivre plus librement leur relation... mais surtout, de résister à quelqu'un comme Felix.

Il me fait craquer. Complètement. Depuis la première seconde, le premier regard. Son premier sourire, l'étincelle amicale dans son regard sombre. Sa voix grave quand il m'a salué. Les taches de rousseur qui parsèment sa peau. Le...

— On plante ça où ?

Ah cette voix qu'il a... elle rampe le long de ma colonne comme des aiguillons délicieux avant de faire frissonner mon ventre.

Je glisse un coup d'œil sur le côté et frémis malgré moi : à genoux à quelques mètres, Felix me fixe, de l'espoir dans le regard. L'espoir, sans doute, que je l'aide à sa tâche.

— Dans le sol, répliqué-je sèchement.

J'essaie de ne pas le regarder trop longtemps. Ni trop souvent.

Difficile.

Impossible.

Pour ça que j'ai bâclé mes explications pour monter les tentes. Avec n'importe qui d'autre, j'aurais été patient, j'aurais pris le temps de montrer. J'aurais même trouvé normal que nous montions chaque tente ensemble.

Au lieu de ça, je lui ai vomi quelques phrases sommaires, lui ai collé le lourd sac contenant une tente dans les bras, avant de lui montrer où la monter, puis je suis allé plus loin pour en monter une autre.

— Je suis pas si stupide, j'ai bien compris où je dois le planter, marmonne Felix en plissant les yeux. Je voulais juste savoir à quelle distance. Est-ce que je dois tendre super fort ou pas ? Et je le mets droit ou penché ?

Je bats des paupières en gardant le silence une longue seconde. Face à moi, Felix est immobile, comme en attente de je ne sais pas quoi, un piquet dans une main, la corde de la tente dans l'autre. Je laisse filer mon regard autour de nous, pour calmer les battements un peu désordonnés de mon cœur.

La nature est magnifique. Grandiose. Sauvage et majestueuse. J'ai hâte de la découvrir en me promenant, seul.

— D'accord, finis-je par soupirer en reposant les yeux sur Felix. On ira plus vite si on travaille ensemble, en fait.

Son visage d'elfe se chiffonne pendant une seconde. J'imagine qu'il se vexe un peu, à cause de ma voix ronchonne ou de mon air renfrogné... tant pis. Après tout, je ne suis pas ravi de me lever pour le rejoindre et monter la tente avec lui.

Pas ravi, non. Ce n'est pas le mot.

Agité. Émoustillé. Troublé. Curieux. Angoissé.

Mais pas ravi.

Mais quelle idée j'ai eu de nous proposer tous les deux pour cette tâche...!

Je le rejoins d'un pas raide, il se redresse en souriant. Je me détourne : son sourire est une arme de destruction pour mon self-control. Plus loin, Bangchan, Changbin et ce trublion de Jisung achèvent de vider le ventre du bus ; les deux chauffeurs, qui se sont relayés pour conduire depuis l'aéroport, transportent les nombreux sacs vers le campement en allers-retours lents entrecoupés de discussions. Beaucoup plus loin, Hyunjin, Yeji et Sullyoon tentent d'encadrer le troupeau de gamins surexcités dont les cris résonnent jusqu'à nous.

Allez, courage, Minho...

Je prends une profonde inspiration, refais face à Felix, et tente de lui réexpliquer la marche à suivre pour monter les tentes. Sans bredouiller, c'est compliqué. Ce n'est pas une vraie réussite ; je finis par lui prendre le piquet et la corde des mains pour lui montrer. Mon doigt effleure un des siens, je baisse la tête aussitôt.

Pourvu que mon bob cache mes joues. Elles brûlent, je dois être écarlate.

— Comme ça, articulé-je en m'agenouillant pour lui montrer.

Il s'accroupit près de moi, pose quelques questions techniques auxquelles je réponds par onomatopées.

— Tu n'es pas du genre bavard, hein.

Je relève machinalement la tête vers lui. Grave erreur : il est si proche que ses taches de rousseur s'incrustent sur mes rétines, que son regard transperce le mien, que la beauté éthérée de son visage éteint mon cerveau.

— C'est pas grave, sourit-il, ce qui manque m'achever.

Il marche à croupetons jusqu'au coin de tente suivant, et je reste là comme un idiot, à le regarder. Je dois avoir une tête stupide, mais je suis incapable de reconnecter ma cervelle : son sourire m'a tourneboulé.

— Tu viens m'aider ? ajoute-t-il d'une voix enthousiaste.

Je me redresse sans réfléchir, le rejoins, l'aide.

Et dans ma tête, tout ce à quoi je peux penser, c'est que mes deux mois de job d'été n'étaient pas censés me mettre face à quelqu'un dont je pourrais tomber amoureux.

𝕊𝕙𝕚𝕟𝕖 for me (ℳ𝒾𝓃𝓁𝒾𝓍 )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant