Prologue

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Daireen

Qu'importe vos croyances, aussi pieuses soient-elles, arrive le moment où le doute vous persécute. Il s'insinue en vous comme un poison, affecte votre foi au point de ne plus savoir distinguer votre propre esprit de celui d'un autre. Cela se produit quand vous êtes sur le point de toucher le fond, là où aucune lumière salvatrice n'atteint cet endroit sombre, vous livrant qu'à vous-même.

Garder foi devient alors difficile car un choix s'impose. Continuer à espérer ou prendre une décision par soi-même ?

C'est à cet instant que vous prenez conscience que vous n'étiez pas maitre de votre avenir, ni de votre destin. Seul Dieu savait à l'avance que quelque chose allait venir s'immiscer sur le chemin que vous vous étiez tracé.

Attendre un signe divin se révèle être une chimère le jour où cette sensation horrible que votre enveloppe charnelle est une entité différente de votre esprit se produit sans possibilité de retour en arrière. Votre âme hurle pour s'arracher de cette cage constituée de peau, de muscles et d'os. A partir de là, il ne vous reste plus que deux options : continuer ou mourir.

Le père Gabriel m'a sermonné durant toute mon enfance sur les bienfaits de la prière et les dangers du monde extérieur. Sur la beauté de la création du tout-puissant et de l'importance de prendre soin de tout cela. Il m'a mise en garde contre les tentations, contre le diable.

La beauté est sinueuse. Elle cache la laideur intérieure, attirant dans ses filets la proie aveuglée et envoutée pour n'en faire qu'une victime consentante.

Bénissez-moi, Seigneur, car j'ai pêché...

Le malin m'a approché. Il m'a corrompu. Il a fait de moi le vaisseau de son obsession.

Bénissez-moi, Seigneur car j'ai failli à ma foi.

J'ai fui, je vous ai oublié et j'ai renoncé à tous ceux qui ne voulaient que mon bien.

J'ai cessé de croire en vous.

Seulement, le diable à continuer de croire en moi, et je suis sur le point de payer la somme de mon hérésie.

Mes genoux frappent le sol dans un bruit sourd. La pression sur mes épaules se relâche, je relève la tête pour affronter courageusement mes bourreaux.

Quatre silhouettes drapées de capes pourpres. Leur large capuche rabattue ne laisse entrevoir que le masque lisse et blanc qui dissimule leur visage et pourtant je les reconnais tous, sans exception.

J'ai dessiné leurs traits du bout des doigts, ma langue a parcouru de nombreuses fois chacune de leurs courbes. Je peux sentir encore le gout de chacun, entendre leur soupir sans avoir à fermer les yeux.

Je leur ai offert mon corps, mon cœur ainsi que mon âme.

En retour, ils les ont pris, déchirés et disséqués.

Je me redresse légèrement, étirant ma colonne vertébrale, mes yeux troublés de larmes non versées, se posent à tour de rôle sur les artifices derrière lesquels ils se cachent. Mais je n'ai nullement besoin de cela pour les représenter dans mon esprit.

Ils se tiennent là, droit, les épaules carrées en arrière, seul leurs yeux me transpercent à travers les orifices. Ils me dominent, m'encerclent en silence.

— Allez-vous faire foutre, sifflé-je, rageuse.

Ils demeurent mutiques, conservant leurs billes sombres dardées sur ma silhouette agenouillée. Je peux sentir leur puissance, ils la projette sans retenue, m'écrasant sous le poids des vibrations qu'elle émet.

Comme un seul homme, ils bougent pour révéler les courtes lames qu'ils camouflaient sous les capes. Les flammes des torches qui nous entourent viennent se refléter sur le métal comme un signe funeste.

Fièrement, je redresse le menton, je ne mendierai pas pour ma vie.

Je leur ai déjà tout donné. Je n'ai plus rien à offrir, seule demeure une coquille vide.

J'aurai dû savoir, j'aurai dû écouter. J'aurai dû me protéger et fuir tant qu'il en était encore temps. Mais j'ai ignoré les signes au détriment de mon cœur, de mon âme.

Le jugement dernier.

Celui de gauche se penche vers moi, je lui octroie toute mon attention, transmettant dans mon regard toute la haine qu'il m'inspire. Je lutte peut-être contre mes larmes, mais elles ne lui sont pas destinées. Non. Elles sont pour toutes les femmes qui sont tombées avant moi.

Celui de droite s'incline à son tour. Je lui dédie un regard empli de pitié. Non pas pour le faire renoncer, mais pour l'enfer dans lequel je lui souhaite de terminer.

Celui du milieu s'approche et mes yeux projettent la rancœur qu'il éveille en moi. Non pas pour ce qu'il s'apprête à faire, mais pour avoir volé mon cœur en premier, pour m'avoir laissé entrevoir une partie du paradis pour mieux m'en chasser d'un revers de main.

Puis le dernier se courbe vers moi et à travers notre échange visuel biaisé, je diffuse toute la douleur qu'il me fait ressentir. Enfin, je libère mes larmes, leur offrant la liberté qui m'a été volé, de dévaler mes joues glacées. Mes lèvres tremblent tandis que je lutte contre le sanglot qui menace de filtrer. Cette douleur nous appartient. Elle nous est destinée.

Mon dernier vœu est pour lui.

Je prie pour son âme, pour que les ténèbres qui nous entourent l'épargne.

Non pas pour le sauver. Non.

Pour qu'il ne trouve jamais la paix, pour que les ténèbres l'aspirent et n'en recrachent que des cendres.

Je ferme les paupières et prends une profonde inspiration tremblante.

Dieu des esprits et de toute chair, qui a foulé au pied la mort, qui a réduit le diable à néant et qui a donné ta vie au monde...

Une déchirure profonde m'arrache mon souffle. Une autre moins pénétrante me paralyse, puis la suivante me fait recourber vers le sol. La quatrième finit par avoir raison de moi. Je m'effondre sur le sol dur et froid.

Mes paupières se soulèvent difficilement et mon regard se pose sur les quatre hommes qui me fixent derrière leur masque alors que je sens la vie glisser hors de mon corps.

Le silence est troublé un instant par leur respiration, des volutes de vapeur s'échappent à travers les fentes de leur bouche, puis la glace infiltre mes os. Je ne peux plus bouger et dans un ultime effort, mes lèvres se séparent puis ma voix perce à peine au-dessus d'un murmure :

— L'enfer ne sera pas complet avant que vous n'y soyez.

Le froid mordant s'empare de ma bouche, puistout devient noir.

Vulgata Dominum (En édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant