Chapitre 5

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D'un coup, violent et brusque, elle avait perdu sa liberté bien-aimée. C'était de sa faute. Combien de fois sa mère l'avait-elle prévenu des dangers des bêtes des terres ? Depuis toute petite, elle lui contait un millier d'histoires sur de pauvres selkies enfermées dans d'horribles prisons. Des pièces informes, à la porte close, à la clé inaccessible. Et pire encore, un homme pour seul compagnie. Pouvait-on seulement appeler ça une compagnie ? Il était un bourreau, celui qui prend, celui qui ne donne pas. S'il nourrit, c'est qu'il veut simplement que sa victime survive le plus longtemps possible.

S'il lui glisse de tendre mots à l'oreille, il faut les sceller au loin, ne pas se laisser influencer par son charme. On raconte que les humains peuvent jouer de feu et de glace. Un moment, ils sont tendres comme le soleil matinal, comme une braise tout près de la peau. L'autre instant, ils sont aussi glaciaux que les icebergs. Ils hurlent alors, puis, attrapent les tendres cous des selkies et menacent de les étrangler. Tout cela, elle l'avait connu par cœur, jusqu'au bout de sa queue de phoque. Les histoires des autres lui avaient pénétrés la peau, se cachaient dans sa graisse. À chaque fois que son grand regard curieux se tournait vers la lune et son sourire, un instinct primaire surgissait aussitôt !

La terreur de sa mère, de toutes celles avant elles, de celles qui s'étaient faites avoir, celles qui avaient perdus une sœur. L'épouvante qui s'était transmise depuis de longues générations et qui arrivait jusqu'à elle. La peur de l'humain coulait dans ses veines. Surtout quand son regard déviait un peu de la lune pour se poser sur la berge. Des centaines de lumières chaudes ternissaient l'horizon. Un village. Pleins d'hommes. Des dizaines, des dizaines d'entre eux. Ils n'attendent qu'une chose, qu'elle se défasse de sa peau. Ils l'attrapent. Elle est toute finie.

Elle ignore combien d'années elle a ainsi pu tenir en respect ainsi la curiosité de fouler de ses pieds nus le sable froid. Elle l'a longuement affronté avec son épée faite de peur. Elle la tenait fermement entre des doigts fins, mais déterminés. À chaque cycle lunaire, la curiosité revenait. Malheureusement, toujours de plus en plus puissante. Elle croissait au sein de son corps, de son cœur. Elle rêvait de connaître la sensation de la bénédiction de la lune sur sa peau pâle. De rire alors qu'elle dansait dans son influence.

Alors qu'elle se postait non loin du sable noir, elle brandissait l'épée contre la tentation. Tu ne m'auras pas ! Je ne veux pas mourir, je ne veux pas être enfermée dans une prison loin de ma bien-aimée mer ! Elle me berce de ses bras d'écumes et de remous. Cette sensation de confort devrait m'aider contre le monstre. Douce créatrice, tendre mère ! Comme je t'aime ! J'ai pour toi le plus beau des amours, il a toujours brillé pour toi. Quand je sonde des eaux à la recherche de nourriture, tu me récompenses de ma loyauté. Tu m'offres les saumons les plus délicieux. Avec mes sœurs, tu nous conte d'antan souvenirs. Elle s'excite des interminables jours où l'humain a quitté ses entrailles pour se propager dans les terres. Elle explique ce qui arrive, au creux de petites veines que sont les fleuves et les rivières. Elle tousse quand la période de pluie souille sa robe bleue saphir.

Elle aime ses enfants de la même tendre façon. Ce soir-là cependant, on aurait cru qu'elle l'avait oublié. Une inattention qui aurait pu être sans importance. Un moment que l'on a perdu dans le vent du temps, de quelques secondes égrenées dans l'infinité. Pourtant, ça changea toute sa vie.

La curiosité l'emporta sur la selkie. Cet instant suffit. La voilà qui retira sa peau. Qui profita de la brise sur sa peau humaine. Elle se dévoile sous la lune et l'astre rit avec elle. Elles se sont amusés une large partie de la nuit, sans savoir qu'un pêcheur les observait. D'un coup, tout s'est arrêté.

Un filet est tombé sur elle. Elle a hurlé, a essayé de griffé tout autour d'elle, mais sans succès. Lui s'est approché, la saisit par les cheveux et a ricané de sa prise. Il a prit sa peau de phoque et les a conduit au village.

La Ménagerie du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant