Chapitre 1

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Le carrosse s'arrête devant un immense bâtiment de pierre blanche. Un jeune homme s'approche de la personne qui en descend maladroitement en s'accrochant à la porte. Le cocher l'observe dédaigneusement en attendant l'ordre de pouvoir se retirer.

Jamais Jocelyne n'aurait jamais pensé que ses yeux lui manqueraient autant. Elle porte un épais bandeau de fer qui lui masque la vue. C'est comme si on l'avait coupé du monde tant on l'a condamnée à être dépendante d'autrui pour les actions de sa vie quotidienne. Comme à chaque fois qu'elle y songe, elle doit retenir ses larmes d'impuissance.

—Attendez, je vais vous aider, prononce la personne face à elle.

—Ça va aller, grogne-t-elle tout en achevant de descendre les deux petites marches.

Elle recouvre son équilibre, essaie tant bien que mal de se tenir droite devant son interlocuteur. Elle entend le carrosse qui se met en branle alors que le cocher s'éloigne en marmonnant dans sa barbe. Jocelyne sait qu'elle ne pourra jamais plus s'en aller d'ici. La porte de la cage vient de se verrouiller avec ce départ. Maintenant, plus personne ne lui tendra la clé pour retrouver sa maison. Elle pousse un soupir qu'elle ne contrôle pas.

—Vous devez être épuisée, quel mauvais hôte fais-je ! Suivez-moi, nous vous avons préparé du thé. Ce sera aussi l'occasion de rencontrer les autres.

L'amertume se propage dans sa bouche tandis qu'elle se mord les lèvres. Ce n'est qu'un faible réconfort de savoir que de différentes immondices semblables à elle peupleront son quotidien. Elle baisse la tête et essaie de se reprendre. Cette fois, c'est une voix plus tranquille, plus gentille qui lui parvient :

—Ou sinon, souhaitez-vous que nous nous promenions dans le jardin ? Votre cœur doit être éprouvé des dernières semaines. Cela vous fera le plus grand bien. Nous profiterons aussi du soleil pour ...

—M'est avis que la pauvre fille veut retrouver son lit pour se lamenter !

—Taisez-vous ! intervient quelqu'un autoritaire.

Jocelyn sursaute, car elle ne ressent qu'un seul parfum face à elle. Depuis qu'elle souffre de cette terrible cécité, son nez est devenu une aimable béquille sur laquelle elle peut compter. Cependant, la voilà perturbée par ce qu'elle sent. Le parfum camphré aux intentions de lavande et de menthe fraîche lui indique une unique personne. Pourtant, elle a bien entendu trois personnes différentes !

Ils doivent percevoir sa surprise puisque la voix la plus froide reprend :

—Pardonnez-moi, ainsi que mes frères. Nous aurions dû mieux nous présenter.

La jeune femme sent un mouvement lui parvenir et se rend compte que l'homme face à elle courbe l'échine en un geste respectueux. Timidement elle chuchote :

—Ce n'est rien.

—Je me nomme Henri, mon frère de gauche se prénomme Jean, celui de droite Hugo. Nous sommes le cerbère du roi.

Jocelyn a entendu parler de ce petit garçon à trois têtes que le prince a adopté quand il n'était encore qu'un enfant. Elle sait que ce cerbère est son animal de compagnie le plus rare et qu'il lui a confié la garde de sa Ménagerie. C'est donc lui ...

Malgré sa bizarrerie, elle ne peut pas le constater. Même si, cela l'étonne fortement, elle aurait tant apprécié contempler le spectacle. Elle reconnaît que cela est mesquin néanmoins, qui pouvait se vanter d'avoir rencontré le plus précieux joyau du Roi ? Elle hoche la tête, fait aussi une courbette respectueuse en disant :

La Ménagerie du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant