Chapitre 11

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Théodora

Ça fait maintenant six heures que je travaille et je réalise que mon métier me passionne plus que tout. Certes, je ne gagne pas suffisamment ma vie, mais bon, pour ce que j'en fais... Et puis, ce n'est qu'une question de temps avant d'être à l'aise financièrement. En regardant mon téléphone, je vois des messages de Gaby.

Appelle-moi, j'ai mangé avec Beth aujourd'hui.

Le surnom de ma maman.

L'adrénaline monte en moi comme si mon cœur tombait dans mon ventre. Je prends une grande inspiration avant d'expirer l'air de mes poumons, cherchant désespérément à retrouver mon calme.

— Ça va aller, Théo, murmure-je à moi-même, comme pour me donner du courage.

Je ne perds pas une minute et tape son nom dans la barre de recherche de mes appels. Après quelques sonneries, la voix apaisante de Gabrielle résonne dans l'écouteur, son ton toujours aussi réconfortant malgré la distance.

— Ça va ? me demande-t-elle d'une voix fébrile, presque tremblante.

— Ça peut aller, dis-je en essayant de cacher l'angoisse qui me ronge.

Cela fait plusieurs mois que je ne l'ai pas vue, mais je peux imaginer en détail l'expression de son visage à cet instant précis : inquiète, compatissante, ses sourcils légèrement froncés et son regard doux mais pénétrant.

— Tu as pris ta décision pour la mission d'Oscar ? reprend-elle, brisant le silence qui s'était installé.

Un soupir de résignation m'échappe. Je me sens coincée entre ce que je veux et ce que je dois faire.

— Tout dépendra de ce que tu as appris, lui dis-je, le cœur lourd.

— Elle... elle m'a dit que la chimiothérapie ne faisait pas beaucoup d'effet, m'avoue-t-elle. Je peux entendre sa voix se briser quand elle prince ces mots.

Je ferme les yeux pour retenir mes larmes, mais le barrage cède. Gabrielle semble le remarquer, et elle continue, s'efforçant de me donner quelque chose, n'importe quoi, pour alléger mon fardeau.

— Mais le point positif, c'est que ça la ralentit un peu. Sa tumeur n'a pas bougé, mais elle ne rétrécit pas non plus.

J'essaie de m'accrocher à ces mots, de me convaincre que ça pourrait être pire, que ça pourrait ne pas fonctionner du tout. Mais même cette maigre consolation ne suffit pas.

— Gab, je...

Je ne peux plus me retenir. Je fonds en larmes, mes jambes ne sont plus assez puissantes pour me soutenir, si bien que je m'effondre au sol. Mes genoux heurtent brutalement le sol froid de mon appartement vide. Le son résonne comme un écho lointain et douloureux que Gabrielle entend à l'autre bout du fil.

Les sanglots m'échappent sans retenue, incontrôlables, violents. J'appuie une main sur ma bouche pour tenter désespérément de les étouffer, mais ils s'accumulent, comme une vague qui refuse de se briser.

Personne ne connaît ma peine quand je la ressens, jamais. Parce que tout le monde pourrait s'en servir. Faire semblant d'être là pour vous, puis se retourner contre vous quand ça ne les intéresse plus.

C'est humain, cette curiosité malsaine : « Pourquoi elle pleure ? Je veux savoir », mais sans vraiment s'en soucier.

Mais quand la vérité éclate enfin, quand les écrits, l'automutilation et les larmes ne suffisent plus, on parle, on se confie. Cette conne de confiance, cette vulnérabilité stupide qui prend place quand on est au plus bas.

NémésisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant