La couleur de notre innocence

Mathisse

Ça y est, enfin rentré ! J'ai bien aimé l'entraînement d'aujourd'hui avec les gars mais j'étais pressé de rentrer à la maison. Il faut vraiment que je pense à travailler ma technique de dribble, sinon Raphaël va gagner tous les matchs.

Le chemin pour rentrer est boueux à cause de la pluie de ce matin, et l'odeur du goudron mouillé persiste dans mon nez. Qu'est ce que j'aime les jours pluvieux, y a pas de meilleur jour pour faire un petit basket dans le gymnase avec les potes ! Je marche tranquillement vers la maison, la nuit est tombée depuis, personne dans les rues et Lose Yourself dans les oreilles ; je kifffe. Je sais qu'il faudrait que je pense à commencer mes devoirs mais tant pis je verrai ça plus tard. En vrai, dans tous les cas je m'en sors toujours même en m'y prenant à la dernière minute, enfin à peu près.

La lumière du porche est allumée, papa a dû rentrer il n'y a pas longtemps. A peine passé la porte, je sens la bonne odeur des lasagnes que maman m'a promis pour ce soir. Je passe dans la cuisine pour lui dire bonjour mais elle n'y est pas. Elle doit sûrement être dans la salle de bain, elle y va souvent peu après que mon père rentre. Pendant ce temps là, je ne le trouve pas non plus. Je vais donc dans ma chambre pour poser mes affaires et je file à la douche.

Je me pose sur mon lit, remets mes écouteurs dans les oreilles et lance ma playlist préférée, celle avec toutes les chansons d'Eminem. Je me refais l'après-midi que nous avons passé et j'imagine comment améliorer ma maîtrise au basket pour battre Raphaël. Je sais que si je retravaille ma technique, je pourrai grave impressionner Sabryna !

Ça doit faire maintenant une demi-heure que j'écoute de la musique. Non pas que j'aime pas ça, mais je vais devoir commencer un peu mes devoirs. C'est sûr, j'en aurai pas pour longtemps, grand max 20 minutes. Et puis si vraiment je galère, j'irai regarder sur Internet ou je demanderai à Lukas. Je me dirige donc vers mon bureau et m'assois. Je saisis le premier cahier venu. Un cahier vert sapin, celui d'enseignement moral et civique. Super ... Les quelques souvenirs que je me faisais de ce cours étaient plus qu'ennuyeux. Bon, il me semble qu'au dernier cours on parlait de religion, ce sujet ne me déplaît pas mais j'ai quand même la flemme. J'ouvre le cahier où je m'étais arrêté, et lis à voix haute le sujet que j'ai surligné en vert fluo :

Quel est votre rapport à la religion ?

Ok. Donc... quel est mon rapport à la religion ? Mon rapport ... à la religion ... Sérieusement ? Comme si j'avais que ça à faire que de me poser ce genre de questions. Franchement, s'il n'y avait pas de religion, est-ce que ce serait pas plus simple ? Peut-être que tous les conflits qui y sont liés cesseraient, que les hommes apprendraient à se découvrir sans être influencés par l'aspect religieux et qu'on arriverait tous à vivre plus sereinement à ce niveau là ? Est-ce qu'un monde sans religion ressemblerait à ça ?

Et puis, pourquoi dit-on qu'il n'y a qu'un seul dieu alors qu'il existe des religions polythéistes ? C'est vrai ça, sur quoi et qui, est ce que je dois me baser en termes de religion ? Devrais-je me référer à ceux qui croient en un dieu unique comme les chrétiens ou les juifs ? Ou bien à ceux qui estiment qu'il y a plusieurs dieux comme l'hindouisme ou le bouddhisme ?

Mais avant même de me poser cette question, est ce que moi je suis croyant ? J'ai jamais ressenti le besoin de faire appel à une quelconque force divine, même dans les moments les plus durs. En réalité, j'ai pas l'impression d'en avoir besoin. Soit parce que je n'arrive pas vraiment à croire en un être supérieur ou alors parce que je n'en ai pas envie. J'ai jamais réussi à m'imaginer parler à « quelqu'un » que je ne vois pas pour qu'il m'aide lorsque ça ne va pas. Après peut-être que cette façon de voir les choses vient de ma famille.

Mes parents se disent "croyants" mais ne pratiquent pas toutes les traditions de leur religion. Tous les ans nous fêtons Noël, mais nous n'allons jamais à la messe le dimanche, nous ne fêtons pas Pâques, ni la Toussaint et nous ne mangeons pas forcément du poisson tous les vendredis. Alors, est-ce qu'on peut réellement se considérer comme des croyants ? Peut-on vraiment être croyants sans célébrer toutes les traditions et fêtes liées à cette religion ? Encore une question à laquelle je n'ai pas la réponse, mais qui reste très intéressante.

D'ailleurs, si je décidais de consacrer une partie de ma vie à la religion, qu'est-ce que ça changerait ? De quelle manière ça impacterait ma vie sociale, sentimentale, familiale ou juste ma manière de vivre en général ? Peut-être que choisir de me convertir à une religion m'apporterait davantage de clarté pour les choix que j'aurai à prendre, une meilleure notion de ce qui est bien à mes yeux, et serait une manière de me rattacher à des valeurs plus morales. Et peut-être que malgré le fait d'être constamment entouré, la religion me ferait me sentir moins seul et plus compris, dans un monde où même les personnes les plus proches de nous, ne suffisent pas toujours à panser nos blessures.

Déjà une heure que je travaille sur cette question. Une heure ?! J'ai même pas vu le temps passer. Si j'avais su que je me poserai autant de questions à ce sujet, j'aurais plus souvent levé la main en cours. Ça me fait bizarre. Jamais je n'aurai pensé que la religion me questionnerait et m'intéresserait à ce point. C'est comme si je découvrais un nouveau monde.

Je regarde rapidement ma montre. Il est 20h06. J'entends les pas de maman se diriger vers ma chambre. Je sais qu'elle s'apprête à me dire qu'on va manger. Je referme mon cahier en prenant soin de laisser un stylo entre les pages pour m'y retrouver quand je reviendrai. Ce sujet me passionne tellement, j'aimerai pouvoir en discuter avec d'autres personnes. Peut-être que je pourrai demander des conseils à mes parents, au prof d'éducation civique ou encore à la bibliothécaire. C'est une idée. Maman ouvre la porte et la chambre s'emplit de la douce odeur des lasagnes. Je souris, elle aussi.