Cassendra

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Bon, il est presque deux heures du matin, il serait peut-être temps d'aller se coucher, nan ? Et puis de toute façon on est seule dans le lit donc est-ce que ça vaut vraiment le coup de rester éveillée aussi tard ? Encore la semaine dernière, avec le gars qu'on a rencontré au bar, ça se comprend... Putain, il savait faire des miracles avec ses doigts celui-là. Dommage que tout soit donné pendant la première partie et qu'on se soit fait chier pendant le reste du spectacle. Mais bon c'est déjà pas mal. Après, c'est un mec, donc il ne peut pas être meilleur que nous-même, ou plus expérimenté.

C'est d'ailleurs devenu un peu un rituel, chaque soir, avant d'aller se coucher. C'est la meilleure façon de relâcher le stress de la journée. Et puis c'est conseillé par les professionnels de la santé, genre la psy qu'on était allé voir il y a un an. 'Une sexualité épanouie avec l'autre commence par une sexualité épanouie avec soi-même !' Pas besoin de nous le répéter ! C'est pas souvent qu'on prend nos devoirs au sérieux, mais ceux-là on ne va pas rechigner. On est devenue de vraies pros, capables de finir en quelques minutes si on est pressées.

Mais c'est pas aussi fun seule. Ça n'apporte pas le rush de sérotonine qu'on ressent quand on sent les mains d'un gars sur notre corps. Quand le baiser gagne en intensité, les respirations s'accélèrent et deviennent lourdes de sens. On commence à découvrir le corps de l'autre, pendant que la langue se balade. Bouche. Cou. Oreille. Clavicule. On jette la tête en arrière, pour mieux se cambrer et mettre en avant notre poitrine. C'est toujours là qu'on les sent perdre pédale, céder complètement au désir. C'est le moment crucial, toujours le même. Puis on sent l'attache du soutien-gorge qui lâche, le tissu du tee-shirt qu'on nous enlève tandis que les corps restent collés, entremêlés. Même sensations. Même mouvements. Même réactions. Mais un homme différent à chaque fois.

Plus on les enchaîne, plus les cris se font forts, les mains agrippent avec puissance les draps. Mais entre toi et moi, on sait que c'est une belle performance. On gémit pour rassurer nos partenaires. Parce que nous on commence à les mélanger ces corps, devenues des silhouettes dans nos souvenirs, interchangeables et immémorables.

Pas besoin de se déprimer avant d'aller dormir. Rituel ? Nope, on n'est pas dans le mood du tout ce soir. C'est rare.

Sommeil.


On ouvre les yeux, paniquée. On attrape le téléphone pour voir l'heure, bien que la chambre soit encore pleine du noir de la nuit profonde. Cinq heures du matin. Qu'est-ce qu'on fait debout à cette heure ?? On se sent encore secouées, comme après un cauchemar. Sauf que notre corps est détendu, presque chaud. Un rêve érotique ? Peut-être. Alors qu'on se concentre, les souvenirs commencent à revenir, bien que flous. Une soirée avec le groupe, Mathisse, Pôline, Sabryna, Lukas, bref toute la clique. Le temps passe et l'alcool coule à flot, mais ce n'est pas le gin qui nous monte à la tête, mais bien le désir. Notre corps est enflammé à la seule vue de ... Nattalie ???

On doit mal se souvenir, on n'est pas attiré par une fille, encore moins Nattalie. Pourtant, le souvenir se concrétise, comme si la caméra faisait une mise au point puis un gros plan sur ce moment exact. Notre regard qui s'attarde sur son corps qui est mis en avant par ce pull qui lui colle à la peau. Elle tire sur les manches pour cacher ses mains. On se mord la lèvre, la tentation est presque insoutenable. Notre pouls s'accélère, notre cœur pourrait sortir de notre cage thoracique. On s'assoit à côté d'elle sur le canapé, un énième verre en main. Du courage liquide qu'ils appellent ça les gens. Ben on en a bien besoin sur le moment. On se rapproche d'elle avec discrétion, enfin on essaie. Elle nous regarde du coin de l'œil. On lui lâche un sourire timide. Mais où est passé notre confiance et notre assurance ? Séduire c'est notre dada, notre talent principal. Mais là, rien, ziltch, nada. Après c'est un rêve, on est bien meilleures dans la réalité.

Elle nous rend le sourire, et c'est le signal qu'il nous fallait. On se penche en avant, réduisant drastiquement la distance entre nos visages. L'impact est à la fois violent et doux. Nos lèvres entrent en collision, déjà entrouvertes, prêtes pour ce qu'il va se passer. Comme d'habitude. Sauf que non. Cette fois est différente, les ressentis sont plus forts. Le désir est mélangé avec quelque chose d'autre. Quelque chose de calme, comme un petit ruisseau qui apaise. Quelque chose d'ancré profondément en nous, quelque chose d'immuable. Ce cours d'eau nous emporte, et on n'a pas d'autre choix que de se laisser porter. Le baiser s'intensifie, puis on s'arrête brusquement, d'un coup bien conscientes de notre emplacement : en plein dans le salon, à la vue de tout le monde.

On se lève et on lui tend la main. Elle la prend et nous suit dans une chambre vide. On la laisse entrer en premier, puis on ferme doucement la porte. Un instant s'écoule, on se dévore du regard, immobiles, comme si un minuscule mouvement risquait de briser la perfection de ce moment. L'envie prend enfin le dessus, chez elle comme chez nous. Les hauts volent, les sous-vêtements sont enlevés dans la même foulée. Je la dirige vers le lit à l'aide de mes baisers. Elle s'allonge sur les draps orange. J'en ai le souffle court. Son corps dénudé, à la lumière tamisée, apparaît comme une œuvre d'art. Chaque courbe semble cacher un trésor. Le corps féminin est un chef d'œuvre, que l'on ne peut s'empêcher d'admirer. Mais regarder ne nous suffit plus, on veut l'explorer, chaque recoin.

Noir. Le réveil en sursaut. Non ! On est frustrées, la respiration haletante rien que d'y repenser. La sexualité n'a rien de nouveau pour nous, ça fait plusieurs années qu'elle fait partie intégrante de notre vie. Mais ce rêve sort de l'ordinaire. Les sensations n'avaient rien d'habituelles, de par leur intensité mais aussi leur nature. Maintenant que l'excitation se calme, le doute et le questionnement prennent leur place de rois. Pourquoi est-ce qu'on a rêvé d'une fille ? Pourquoi était-ce aussi bien ? Instinctivement, on a toujours pensé qu'on été hétéro, mais peut-être que le postulat de base était faux, biaisé par la facilité. Désirer les hommes c'est simple. Mais c'est vrai qu'on a toujours aimé regarder les femmes, trouvant en elles un charme dénué au genre masculin. Mais on n'y a jamais vu autre chose que de la simple contemplation. Mais ce rêve change la donne. Peut-être que la pièce manquante du puzzle est en fait une moitié de mon identité qu'il manque, cachée derrière des habitudes et un manque d'introspection.

Des rayons de soleil percent à travers mes volets et baignent ma chambre d'une lumière timide aux teintes orangées. L'aube a un autre goût aujourd'hui. Un goût de courage, de nouveauté, de découverte et d'acceptation de soi. Cet orange est celui d'un nouveau futur qu'on a hâte de construire.


La couleur de notre innocenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant