Nous étions donc trois à table pour le repas du réveillon. Mon père, ma mère et moi. Les lumières du sapin brillaient, mais l'atmosphère du repas était glaciale. J'observais mes parents, assis à la table, leurs sourires figés. L'odeur de la dinde rôtie était accablante, mélangée à une tension lourde dans l'air. Chaque bouchée, chaque silence étaient un défi. Je croisais le regard de ma mère, je savais que ce visage masquait des douleurs profondes. C'est alors que dans un accès de colère, mon père renversa son verre de vin en hurlant. « Tu ne peux pas faire un effort pour être civilisé, même pour Noël ? » s'écria ma mère, la voix tremblante. Mon père se leva alors brusquement, l'ombre de sa colère obscurcit la pièce, et il abattit violemment sa main sur la table.
« Civilisé ? C'est moi qui dois me civiliser dans ma propre maison ? » hurla-t-il. Le ton de sa voix fit vibrer les murs, et je sentis mon cœur se serrer. Les tensions, longtemps contenues, avaient explosées, emportant avec elles l'illusion d'un moment de paix. Dans ce décor festif, la peur et l'angoisse planaient comme de gros nuages gris, rendant ce Noël inoubliable, mais pour de mauvaises raisons.
Ça ne pouvait donc plus durer. Je regarde furtivement la notification sur mon téléphone qui m'indique que le rendez-vous a lieu dans deux jours. Deux jours. Je me souviens d'avoir pris ce rendez-vous via un site internet, un énième soir où j'ai cru que ce serait le dernier, comme toujours. Ce soir où j'ai vu dans le regard de mon père que la colère qu'il éprouvait, dépasserait ses gestes et irait plus loin que prévu. Ce soir où j'ai entendu les larmes de ma mère toute la nuit et où elle implorait Dieu pour la faire disparaître à tout jamais. Alors ce soir-là, j'ai compris que ça ne pouvait plus durer.
Il est 9h50. Je suis un peu en avance. Je suis assis, seul. La salle d'attente est vide. Sûrement en raison des vacances scolaires. Ou bien parce qu'à cette période, beaucoup essaient de garder la face pour ne pas détruire la magie de Noël et donc évitent de se rendre dans ce genre de lieu. En tout cas, je suis seul. Les lumières du centre social de la ville clignotent doucement. J'entends des voix étouffées dans les bureaux et quelques bruits de pas au loin. Je me demande quand viendra mon tour. Mes mains commencent à devenir moites, mon cœur bat de plus en plus vite et le stress m'envahit peu à peu. Je n'aime pas ça. D'habitude c'est quand j'entends mon père rentrer que je ressens tout ça.
Puis j'entends une voix plutôt douce. Une jeune femme blonde entre, vêtue d'un ensemble tailleur bleu marine. Elle me sourit et me dit : « Bonjour Mathisse, je m'appelle Claire, on y va ? ».
Je comprends qu'il est temps. Je réponds par un sourire timide et la suit.
La pièce est assez petite et son bureau est rempli de dossiers à moitié ouverts. Je m'assois sur une chaise en plastique, les mains serrées autour de mes genoux. L'assistante sociale me regarde avec compassion, je le ressens. Une lumière douce éclaire nos visages fatigués en passant à travers les rideaux et le silence qui règne est chargé d'émotions inexprimées.
Claire : Alors Mathisse, dis moi pourquoi tu as décidé de prendre rendez-vous avec moi aujourd'hui ?
Mathisse : (d'une voix basse) Heu.. A vrai dire je ne sais pas vraiment ... enfin si je sais mais ... je ne sais pas ... comment ...
Claire : (doucement) Je sais que c'est difficile pour toi de parler de ce que tu as vécu. Mais sache que cet espace est un refuge, un endroit où tu peux te libérer de ce poids. Je suis là pour t'écouter.
Mathisse : (les yeux rivés au sol) Je... je ne sais pas par où commencer. Ça a toujours été comme ça. Les cris... les éclats de voix qui résonnent dans les murs. Comme un orage qui ne cesse jamais.
VOUS LISEZ
La couleur de notre innocence
General FictionHuit lycéens, des vacances de Noël, ils pensent bien se connaître, mais ils ont tous leurs secrets. Comment trouver son identité dans un monde où la recherche du bonheur est l'objectif suprême, alors que le mal-être et les doutes sont omniprésents...