Chapitre 12 : Nom (1/2)

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Nosh attendait avec impatience le prochain cours d'histoire. Maître Lany avait annoncé à ses élèves qu'ils étudieraient l'histoire des premiers mages, et il brûlait de découvrir comment le monde dans lequel il vivait avait pris forme.

Quand il entra dans la salle avec Nato et Kate, ils s'assirent tous trois à la même table. Nosh sentit aussitôt le regard perçant de Togal posé sur lui. Depuis plusieurs jours, ce dernier ne cessait de le fixer d'un air furieux, ses yeux étincelants de colère. Même le soir, Togal ne se vantait plus comme à son habitude. Il rentrait dans la chambre, sans un mot, pour aller directement dormir. Nosh se doutait bien que cela avait à voir avec Kate. Peut-être que Togal n'appréciait pas qu'ils passent autant de temps ensemble. Mais Nosh n'en avait cure. Kate et lui étaient simplement amis, et même si cela venait à changer, Togal n'aurait pas son mot à dire.

— Aujourd'hui, commença maître Lany, nous allons nous plonger dans les origines du monde magique. Les premiers mages, dit-on, sont apparus il y a bien longtemps... tellement longtemps que personne ne connaît leur date d'apparition exacte. Pendant des siècles, les mages ont été pourchassés, et beaucoup de leurs savoirs ont été détruits. La plupart des historiens estiment pourtant qu'ils ont foulé la terre il y a environ trois mille ans.

Maître Lany laissa le silence marquer l'ampleur du sujet avant de poursuivre.

— Imaginez... une époque où la magie n'était qu'un murmure, un secret que l'on risquait sa vie à dévoiler. À cette époque, la magie était mal vue. Très mal vue. Les personnes qui détenaient des pouvoirs magiques étaient considérées comme des êtres maléfiques, des créatures venues des enfers afin d'asseoir leur domination sur les êtres humains. Nous ne savons pas encore ce qui a déclenché tant de haine. Mais cette peur fit naître un ordre religieux indépendant, dédié à traquer les pratiquants de la magie. Cet ordre gagna en puissance au fil des années, mais pas toujours avec les individus les plus honorables. Il oublia vite quelle était sa première mission. Plutôt que de s'en tenir aux mages, ses membres commencèrent à extorquer et à accuser quiconque ne payait pas ce qu'ils exigeaient. Toute personne qui leur déplaisait devenait, à leurs yeux, porteuse de pouvoirs, avec pour résultat une exécution immédiate.

» La peur gagna la population et les dénonciations se multiplièrent. L'ordre devint si virulent que l'empereur lui-même n'avait plus aucun contrôle dessus. Ce fut le début d'une sombre période que l'on nomme aujourd'hui l'Âge Noir.

Les élèves échangèrent des regards inquiets, mal à l'aise face à ces récits glaçants.

— Cependant, il y a deux mille trois cents ans, reprit maître Lany, le mage Myrddin, maintenant considéré comme le premier Archimage, bien que ce titre n'existât pas encore, eut une idée audacieuse. Il décida de rassembler les mages dans un lieu secret, à l'écart de toute population et plaça différents sorts afin d'empêcher l'accès à toute personne démunie de pouvoir. Là, ils érigèrent une grande tour pour y préserver tout leur savoir : des livres, des objets magiques, des enchantements, de nombreuses choses. Vous l'aurez deviné, il s'agissait de la Tour des mages. Ce projet fut si colossal qu'il s'étala sur des décennies. Au moment de l'achèvement de la Tour, Myrddin n'était plus qu'un vieillard proche de la mort.

La mage fit une pause pour scruter ses élèves qui buvaient ses paroles

— D'après la légende, continua-t-elle, la dernière nuit de sa vie, un ange serait apparu dans les rêves de Myrddin pour lui révéler le moyen de libérer définitivement les mages de la persécution. Le lendemain, il rassembla les mages les plus puissants dans une vaste salle souterraine de la Haute Tour dans le but de lancer un sort de grande envergure. Ensemble, ils effacèrent l'existence de la magie de la mémoire collective. Mais le sortilège était si puissant qu'il tua Myrddin. Quand bien même, grâce à son sacrifice, les mages purent enfin vivre sans craindre d'être exécutés. La Tour des mages devint alors une école, et à mesure que le nombre d'élèves augmentait, ils bâtirent le château autour de la tour. Ils restèrent à l'écart du monde normal et de ses différents conflits... du moins jusqu'à la grande crise, des centaines d'années plus tard.

» Oguidraïn, l'empire voisin, déclara la guerre à Édronia. Atios, notre empereur de l'époque, n'envoya qu'une fraction de nos troupes, persuadé que la victoire serait simple. Ce qu'il n'avait pas prévu, et les mages non plus d'ailleurs, c'est qu'Oguidraïn possédait une armée de combattants dotés de pouvoirs. Juste assez nombreux pour faire de cette guerre une hécatombe. Nos unités furent décimées et les troupes adverses pénétrèrent sur nos terres pour tout détruire sur son passage. Face à cette menace, nos mages sortirent de leur retraite et ainsi la situation fut complètement retournée. Ils balayèrent l'ennemi. Les soldats d'Oguidraïn furent traqués et repoussés sans relâche jusqu'à la frontière.

Maître Lany avançait d'un pas lent entre les rangs et les apprentis la suivaient du regard sans dire un mot.

— Oguidraïn, humilié, assoiffé de vengeance, ordonna alors à ses mages de se sacrifier pour lancer un sort de grande envergure dans le but de rayer Édronia de la carte. Ce qu'ils firent. Ou du moins, ils essayèrent. Nos mages réussirent à contrecarrer l'attaque. L'affrontement entre ces deux forces magiques provoqua un séisme si puissant qu'il secoua violemment les deux empires. Le nombre de victimes fut considérable. Face à cette dévastation, nos mages participèrent à la reconstruction non seulement d'Édronia, mais aussi d'Oguidraïn. Cette coopération permit d'établir un traité de paix entre nos deux empires.

» Mais cet accord n'a pas duré éternellement. Il y a un millier d'années, toujours le même empire, nous déclara la guerre. Cette fois, ils n'ont pas seulement attaqué de l'extérieur : ils ont semé les graines d'une guerre civile ici même, en Édronia. Cette histoire, vous la connaissez déjà. L'Archimage Morini ainsi que sa femme Katrina, dont les deux statues se trouvent dans le hall, ont rétabli l'ordre. En fin de compte, Oguidraïn a été démantelé, divisé en régions indépendantes.

Maître Lany marqua une pause avant de poursuivre.

— Depuis, la paix règne entre nos peuples. Plusieurs ambassadeurs ont été envoyés dans ces régions pour solidifier la paix et forger de nouveaux accords. Et aujourd'hui encore, d'autres émissaires assurent cette mission. Les plus renommés de notre époque étaient les Dorinon, que vous avez très certainement entendus parler... bien qu'ils nous aient malheureusement quittés.

Au nom des Dorinon, Nosh sursauta, ébranlant la table. Le livre de Nato glissa et tomba bruyamment. Quelques élèves se tournèrent pour voir d'où venait le bruit. Nosh, sans dire un mot, se pencha, ramassa l'ouvrage et le rendit à Nato.

— Tout va bien ? demanda Kate en le scrutant

— Oui, oui, répondit distraitement Nosh.

Elle continua de le regarder, visiblement pas convaincue.

— Ça va, vraiment, répéta-t-il.

Kate parut enfin rassurée et se tourna de nouveau vers le maître, les yeux fixés sur lui pour suivre le cours.

Pourtant, quelque chose clochait. Ce nom, Dorinon, sonnait étrangement familier, comme une note qu'on aurait entendue jadis, mais qu'on n'arrive pas à replacer. Certes, c'était un nom célèbre, lié à de puissants mages dont beaucoup avaient entendu parler. Mais lui... il venait à peine d'entrer dans ce monde. Avant qu'il commence sa formation, il n'avait aucune connaissance du monde magique. Et même depuis le début des cours, ce nom n'avait pas été mentionné. Alors pourquoi le troublait-il autant ? Il avait la sensation d'un souvenir, une image floue, enfouie au plus profond de sa mémoire, qu'il n'arrivait pas faire ressortir, comme si un blocage l'en empêchait.

Les jours suivants, cette impression continua de le tourmenter. Le nom revenait, inlassable, et s'agrippait à son esprit comme pour refuser d'être oublié. Dès qu'il le pouvait, Nosh se concentrait pour faire ressurgir ses souvenirs et éclaircir le mystère. Mais chaque tentative échouait, lui laissant cette sensation vague et insaisissable, presque un fantôme dans sa mémoire.

La Tour des MagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant