La Tour des Mages

Chapitre 3 : Invisibles (2/3)

Ils étaient arrivés dans une prairie verdoyante. Un seul arbre, gigantesque, trônait en son milieu. C'était le plus grand que Nosh ait jamais vu. Comme pour les autres garçons, d'après leur dire. L'Arbre Blanc resplendissait d'une aura énigmatique. On disait que ses racines puisaient leur force directement dans les veines de la terre. Une autre particularité le distinguait des autres arbres : les couleurs. Le tronc et les branches étaient entièrement blancs. Ses feuilles, quant à elles, étaient d'un vert très clair comme si elles aussi cherchaient à devenir blanches. Mais Nosh savait que durant l'hiver, elles prenaient la teinte immaculée de la neige.

— Comme vous le savez, poursuivit-il, les cours démarreront au début du mois prochain, soit dans une dizaine de jours. Vous avez donc beaucoup de travail pour tout remettre en état avant l'arrivée des élèves. (Il désigna l'arbre de la main.) Pour commencer, je veux que vous tailliez l'Arbre Blanc du sol jusqu'à quinze pieds de haut. Vous avez jusqu'à midi.

Nosh regarda le ciel. Malgré le jour déjà entamé, la lune rouge était bien visible, beaucoup plus grosse que la grise qui attendait le coucher du soleil pour se montrer. Pleine depuis une vingtaine de jours, elle resterait parfaitement ronde une dizaine de jours supplémentaire. Puis, elle commencerait bientôt à décroître lentement, et une année entière s'écoulerait avant de la revoir dans sa plénitude. À la Tour, le premier jour de décroissance de la lune rouge correspondait au début d'une nouvelle année de cours.

Nosh poussa un soupir en y pensant. Il aurait bien aimé pouvoir les suivre et devenir mage lui aussi. Ne plus avoir à faire toutes ces tâches avec Mias, ne plus entendre les sarcasmes de Tyrus et Jün. Mais surtout, entreprendre la formation et devenir quelqu'un d'important. Normalement, les enfants commençaient les cours à son âge.

Mais lui n'avait aucun don, pas même une once de magie en lui qui pourrait le faire accéder à l'apprentissage. Malgré le fait que le don venait avec la naissance, il avait longtemps espéré être une exception à la règle, le recevoir durant son enfance. Mais rien n'était venu, et il se sentait honteux, et surtout déçu d'avoir porté de si vains espoirs.

Avec un peu de chance, il pourrait partir pour ses seize ans et trouver du travail quelque part. Encore deux ans à tenir. La Tour apprenait aux invisibles la lecture, l'écriture et l'arithmétique afin qu'ils puissent trouver du travail lorsqu'ils partaient. Et tout le travail manuel que Mias leur donnait faisait aussi office de formation.

La semaine passée, accompagné d'une dizaine d'invisibles, Nosh avait cueilli les fruits du verger situé dans la partie ouest du parc. C'était le moment de l'été que l'adolescent préférait, car malgré les hautes températures, l'air était plus frais à l'ombre des arbres fruitiers. Il s'enorgueillissait aussi de rapporter quelque chose d'utile le soir comme de la nourriture, contrairement à la coupe du bois comme en ce moment. Certaines fois, ceux qui récoltaient avaient même le droit de manger un fruit des récoltes. Nosh adorait croquer à pleines dents dans une pêche bien mûre qu'il venait de cueillir, il ne connaissait rien de plus gratifiant. Il aimait également les abricots, bien qu'il les trouvât un peu plus acides.

Nosh se demandait souvent ce que devenaient tous ces fruits qu'ils ramassaient. Le verger était étendu et les arbres fruitiers nombreux, produisant un rendement élevé. Les fruits se gâtaient rapidement, et avec si peu de monde à la Tour, les consommer avant qu'ils ne pourrissent était impossible. Les invisibles s'occupaient de les cueillir et de les placer dans de grands paniers d'osier. Quelques-unes de ces corbeilles restaient à la Tour pour les mages. Mais les autres étaient expédiés par les charrettes, celles qui amenaient des fournitures, Nosh ne savait où. Sûrement en ville, dans l'intention de les vendre contre une poignée de pièces, pensait-il.

Il avait demandé à Jac son avis, mais son ami lui répondait sans cesse que faire rapidement et correctement son travail lui évitait de se faire rosser par Mias et cela était plus important que de connaître la destination des fruits. Les autres invisibles partageaient cette opinion et trouvaient ses questions presque incongrues. Nosh avait souvent l'impression que les invisibles ne pensaient même plus par eux-mêmes, enchaînant leurs tâches machinalement comme si rien d'autre ne comptait. Comme s'ils étaient résignés à ce que leur vie ne se résume qu'à exécuter les besognes que Mias leur imposait.