Liés par les cicatrices

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Il faisait nuit noire au **Hell's Sons**, et le bar était presque désert. Le dimanche soir, après le barbecue, les membres du club se dispersaient. Mais **Delilah** était restée assise seule dans un coin du bar, à observer les bouteilles d'alcool derrière le comptoir, ses pensées vagabondant dans les méandres de son passé. Elle avait besoin de calme après ce qu'elle avait partagé avec **Swart**, mais la tempête en elle ne s'apaisait pas.

Un bruit de chaise raclant le sol la sortit de ses pensées. **Joker** venait de s'installer en face d'elle, un verre de whisky à la main, un sourire léger mais intrigant au coin des lèvres. Ce mec était un mystère ambulant. Un homme qui ne semblait jamais sérieux, toujours avec une réplique mordante, mais il y avait quelque chose de bien plus profond sous son masque de jovialité.

« Quoi, t'as besoin d'un psy maintenant ? » lança-t-il en prenant une gorgée de son verre, son regard la sondant discrètement.

Delilah esquissa un sourire. « Peut-être bien. T'es dispo ? »

Il haussa un sourcil et posa son verre sur la table. « Toujours dispo pour toi, ma belle. »

Le silence s'installa entre eux, mais il n'était pas pesant. Depuis son arrivée, **Joker** avait toujours été là. Ils avaient tissé une étrange amitié, une relation basée sur des taquineries et des échanges sarcastiques, mais **Delilah** sentait que derrière ses rires, il y avait quelque chose de cassé en lui, quelque chose qu'il cachait avec une facilité déconcertante.

Elle le regarda, ses yeux bleus tranchants, et se décida à poser la question qui la taraudait depuis des mois. « Pourquoi t'es toujours là, à essayer de me faire rire ? » demanda-t-elle d'une voix douce. « Qu'est-ce que tu caches derrière ce sourire, Joker ? »

Il la fixa un instant, son regard s'assombrissant légèrement, comme si une partie de lui s'était attendue à cette question, mais qu'il n'était jamais vraiment prêt à y répondre.

« Ah, merde, t'as décidé de gratter le vernis, hein ? » dit-il avec un rire sec. Il joua nerveusement avec son verre avant de le poser sur la table, puis s'appuya contre le dossier de la chaise, croisant les bras. « J'aurais dû m'en douter. T'es plus maligne que tu le laisses paraître. »

Delilah ne dit rien, se contentant d'attendre. Elle savait que **Joker** n'était pas du genre à se confier facilement, mais elle sentait qu'il avait besoin de parler, tout comme elle en avait eu besoin avec **Swart**. Ils étaient deux âmes brisées, cachées derrière des façades différentes.

**Joker** prit une grande inspiration, son sourire s'effaçant peu à peu. « T'as jamais voulu savoir pourquoi on m'appelle **Joker**, hein ? »

Elle secoua la tête. « Non, je me suis dit que tu me le dirais quand tu serais prêt. »

Il émit un petit rire. « T'es vraiment différente, toi... La plupart des gens posent la question dès qu'ils entendent mon surnom. Mais toi... t'as attendu. »

Il se redressa, s'appuyant sur la table, les coudes posés dessus, ses doigts jouant nerveusement avec un anneau en argent qu'il portait au doigt. Il resta silencieux quelques secondes avant de reprendre.

« J'étais pas toujours comme ça, tu sais. Le mec qui fait des blagues à tout va, celui qui sourit tout le temps, qui n'a peur de rien. Avant, j'étais juste... » Il s'interrompit, cherchant ses mots, « juste un gamin qui voulait plaire à son père. »

Delilah pencha la tête, intriguée par cette confession inattendue.

« Mon père, c'était un type dur, un militaire. Il croyait en la discipline, au contrôle. Et moi, j'étais son projet raté. » Joker laissa échapper un rire amer. « Je me suis rebellé, comme tous les gamins qui se font trop serrer la vis. Sauf que moi, je l'ai fait en grand. »

Il s'interrompit, jouant encore plus nerveusement avec l'anneau à son doigt, son regard perdu dans le vide.

« Un jour, je suis rentré chez moi, bourré... complètement défoncé. Je voulais pas écouter ses sermons, pas cette fois. Mais ce que je savais pas... c'est que ma mère était malade. Genre, gravement malade. Et moi, j'étais trop occupé à me rebeller, à essayer de prouver que j'étais pas comme lui, que j'ai rien vu venir. » Il baissa les yeux. « Elle est morte cette nuit-là... et moi j'étais même pas là pour lui dire au revoir. »

**Delilah** sentit son cœur se serrer. Elle n'avait jamais imaginé que **Joker** portait une telle douleur en lui. Il ne le montrait jamais, toujours masqué derrière son humour, ses sourires. Mais là, il s'ouvrait, laissant entrevoir la profondeur de ses blessures.

« Après ça, j'ai plus jamais été le même, » continua-t-il, sa voix plus rauque maintenant. « Mon père m'a foutu dehors. Il m'a traité de déchet, de bon à rien. Et peut-être qu'il avait raison. Alors, j'ai pris tout ce que j'avais de bon en moi et je l'ai enterré. J'ai mis ce masque de sourire, et je me suis dit que si je pouvais plus être le fils qu'il voulait, alors j'allais devenir celui que personne n'attendait. »

Il se pencha un peu plus vers elle, son regard redevenu intense, mais cette fois sans le masque de l'humour. « Et toi, Delilah... tu fais pareil. Je le vois. Tu caches ta douleur derrière ce masque de froideur et de vengeance. Mais ça te bouffe, tout comme ça m'a bouffé moi. »

Delilah resta silencieuse. Chaque mot qu'il prononçait résonnait en elle. Elle aussi portait ce masque. Elle aussi cachait sa souffrance derrière la colère, derrière cette façade de dureté qu'elle montrait aux autres. Mais maintenant, elle n'avait plus de masque à cacher derrière **Joker**.

« Je suis pas différente de toi, » dit-elle enfin, sa voix à peine un murmure. « Je cache ce que je ressens, parce que c'est plus facile que de montrer à quel point je suis brisée. »

Joker la fixa, un sourire triste étirant ses lèvres. « J'savais que t'étais comme moi. On est des putains de survivants, toi et moi. »

Elle prit une grande inspiration, puis décida de se confier, quelque chose qu'elle n'avait fait qu'une seule fois, et seulement partiellement avec **Swart**.

« Mon histoire... » Elle ferma les yeux un instant, revoyant les scènes de son passé. « Elle est pas belle. J'ai été manipulée, utilisée par des hommes qui ont fait de moi leur jouet. BASTARD m'a prostituée, m'a vendue comme un objet. Et chaque jour, je devais survivre... pas seulement physiquement, mais mentalement. Parce que chaque client, chaque main sur moi, c'était comme un coup de plus dans mon âme. »

**Joker** ne dit rien, mais son regard s'était adouci, rempli de compassion.

« J'ai commencé à ne plus sentir les coups, à ne plus sentir la douleur. J'ai appris à me déconnecter. Et aujourd'hui, je me demande si je suis encore capable de ressentir quelque chose de vrai. Parce que je me suis tellement perdue dans cette colère et cette vengeance, que je sais même plus qui je suis. »

Un silence lourd s'installa entre eux, les deux partageant leurs histoires, liés par leurs cicatrices invisibles.

« Delilah... ou Michaela, » dit Joker doucement, « on est des foutus survivants. Mais tu sais quoi ? Ça veut aussi dire qu'on est encore là. On est pas morts. Et tant qu'on est là, on a encore une chance de se reconstruire. Peut-être pas de la même manière qu'avant, mais on peut se trouver un nouveau chemin. »

Elle le regarda, les larmes aux yeux, mais cette fois, il y avait aussi une lueur d'espoir, infime, mais présente.

« T'es un con, » murmura-t-elle avec un sourire triste, « mais t'as peut-être raison. »

**Joker** leva son verre, un sourire éclatant illuminant son visage pour la première fois de la soirée. « À nous, les foutus survivants. »

El DiabloOù les histoires vivent. Découvrez maintenant