A travers le Styx

II

Lithium n'était pas un garçon normal.

Il n'avait jamais ignoré ses origines. Depuis qu'il était tout petit, on le lui répétait en permanence. Même si, lorsqu'il était enfant ces histoires le fascinaient, en grandissant il s'était mis à les haïr. Pourtant, les nymphes qui l'avaient élevé étaient adorables et il les aimait beaucoup, mais leur passion pour le Dieu qui était son père l'agaçait. Il avait appris à les ignorer, à se contenter de hocher la tête en serrant les lèvres pour retenir un soupir.

Fils d'Hadès, Dieu des morts et des enfers, Lithium avait pourtant grandi dans une forêt loin du monde et de ses dangers. Il n'avait jamais connu sa mère, humaine morte à sa naissance, et n'avait jamais vu son père non plus - du moins dans ses souvenirs. Apparemment, lorsqu'il était tout bébé, le Dieu l'avait amené lui-même aux dryades habitant les bois près du village d'où il venait, en Grèce. Le nourrisson tout contre son torse, enveloppé dans des linges azurs, Hadès le leur avait confié en les priant de toujours bien s'occuper de lui.

Et c'était la seule et unique fois où il aurait pu apercevoir son géniteur.

Lorsqu'il était tout petit, les nymphes lui parlaient sans cesse des histoires de son père. Au cours de la Grèce antique, ces récits étaient très importants et les Dieux étaient respectés et craints. Désormais, il n'ignorait pas que ce temps-là était révolu et que les divinités n'existaient presque plus aux yeux des Hommes. Après la chute de l'Empire Romain et le début du Moyen-Âge, le christianisme prenait de plus en plus de place. Les Dieux grecs étaient tombés en désuétude.

Cependant, il restait bien des créatures divines, magiques ou mystiques qui arpentaient la Terre. Et ces individus comptaient bien continuer à prêcher leurs paroles.

- Et alors, touché par les chants du garçon, ton père accepta de le laisser partir avec Eurydice. Mais à une seule condition...

- Laquelle ?

- Il ne devait pas se retourner pour la regarder avant d'avoir quitté les enfers.

L'histoire d'Orphée et d'Eurydice avait toujours été la préférée de Lithium. Il demandait souvent à Rosae, la nymphe qui s'était toujours occupée de lui comme d'un fils, de lui raconter. Patiente, elle l'asseyait sur ses genoux et brossait ses cheveux en lui contant la clémence de son père.

- C'est trop facile, se frustrait Lithium à chaque fois. Il n'a qu'à pas se retourner. Ce n'est pas vraiment une preuve d'amour.

- C'est parce que tu es trop petit, s'amusait Rosae. Il l'aimait plus que tout au monde. Un jour, toi aussi tu trouveras la personne pour qui tu ne pourras même pas t'empêcher de te retourner.

- Impossible. Je ne ferais jamais les mêmes erreurs qu'un humain !

- Tu es bien prétentieux, tout petit demi-dieu.

Et Rosae le chatouillait, tandis que Lithium se débattait en riant à gorge déployée. Elle coiffait ensuite ses cheveux d'une couronne de fleurs, et le laissait aller jouer avec ses filles qu'il traitait comme ses grandes sœurs.

Au cours du temps, Lithium ne voulait plus écouter ces histoires. Il ne réclamait plus les genoux de Rosae, ni ses récits fantastiques sur son géniteur. La dryade s'attristait de le voir s'éloigner ainsi de ses origines.

 - Hadès t'aime, Lithium. Tu ne devrais pas en douter.

- Excuse-moi de douter de la sincérité d'un homme que je n'ai jamais réellement vu, Rosae.