Il était une fois... - I

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S'il y a bien un endroit sur la terre où personne ou presque n'osait et n'ose encore se rendre, ce doit être celui-ci.

Un bastion noyé sous la brume dans une nuit éternelle et sans étoile, le symbole le plus absolu de ce qu'il y a de cauchemardesque. Ses tours étaient comme les doigts crochus d'une sorcière et ses meurtrières crachaient des flammes comme un dragon affamé. Les oiseaux les plus mauvais dormaient sur les toits aiguisés. Des vautours et des corbeaux faisaient ici chambre commune. Un unique pont permettait de passer les portes de cet enfer, car un ravin si grand qu'on s'y perdrait à vouloir en trouver le fond entourait la forteresse.

Au nord, une forêt de pins et de sapins recouvrait la lande irrégulière et touffue. Les plantes basses et le brouillard empêchaient ceux qui s'aventuraient par ici de voir leur pas. Ils perdaient leurs repères et ne sortaient jamais de ce bois où, à n'en point douter, des créatures odieuses devaient attendre pour les dévorer à la première occasion.

Plus loin encore, au nord toujours, c'étaient les montagnes qui menaçaient ceux qui souhaitaient les traverser. En plus des chemins raides et pentus qu'il fallait se risquer à emprunter, les monts étaient creux, ils regorgeaient de cavernes et de tunnels habités par ceux qui craignaient le soleil.

Les plus courageux - ou les plus fous - bravaient parfois ce pays, pourtant si mauvais que toute la lumière du monde paraissait l'avoir quitté. Le soleil ne brillait que d'une lueur pâle, faible et vulnérable, forte comme un fragment de ce dont était capable son véritable éclat.

Certains, de rares puissants, arrivaient jusqu'aux portes du château noir. Lorsqu'ils y entraient, c'était pour mourir, à n'en point douter. Personne ne pouvait espérer se sortir d'une rencontre avec ce qui se trouvait à l'intérieur de cette tanière hideuse. Tanière, oui, car qualifier la chose qui se terrait là-bas d'humaine revenait à bafouer tout ce que l'Homme était.

Un monstre, un voleur et un dévoreur. Son pelage noir se parait de rouge lorsque le sang l'imbibait et ses dents brillaient toujours plus fort que la lune, au milieu de la nuit. La créature se cachait depuis longtemps maintenant dans le château. Certains la croyait morte, d'autres étaient convaincus qu'elle préparait quelque-chose de si mauvais et de si terrible que cela annoncerait la fin des temps. Les villages frontaliers aux montagnes s'organisèrent et, entre bourgmestres, ils se concertèrent pour préparer une récompense commune qu'ils offriraient à quiconque parviendrait à ramener la tête de la vile bête. Beaucoup d'appelés pour aucun élu, voilà où les résultats en étaient arrivés. Des haches, des épées et des lances pavaient désormais la route vers le château, vestiges de ceux qui s'étaient sacrifiés pour l'or ou pour l'honneur.

Le nombre de valeureux ne cessa de chuter au fil des générations, car ils étaient de plus en plus à réaliser qu'ils n'avaient pas la moindre chance d'en revenir en vie. Aussi, beaucoup ne croyaient plus à la bête tant la prospérité régnait sur le monde. Tous sauf un, si téméraire qu'il se jetait dans la gueule du loup en se fichant tout à fait de la récompense.

Un cheval puissant galopait dans la forêt. Sa robe noire comme la nuit le dissimulait aux yeux mauvais qui cherchaient à le débusquer. Il filait si vite que, de toute manière, personne n'aurait pu le rattraper. Un cavalier caché par des tissus et des capuches le chevauchait et se cramponnait à sa crinière flamboyante pour ne pas tomber. Des vapeurs de force et de courage partaient des naseaux de l'animal et laissaient derrière lui une trainée de fumée.

Il sortit de la forêt en trombe. Le cavalier traversa le pont de pierre sans attraper la moindre arme laissée par ses prédécesseurs. Les sabots de sa monture enfoncèrent la porte de la forteresse et il entra en un éclair, plus loin que personne n'était jamais allé. Pourquoi ? Parce que les montagnes, la forêt et la forteresse elle-même le craignaient trop pour attenter à sa vie. Le voilà arrivé devant la dernière ligne de défense de l'ennemi, froide et guère accueillante, couverte de poussière et de toiles d'araignées.

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