Il était une fois... - II

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C'était une forêt de chênes qui dormait aux pieds de Castel-Cariad. Les uns lui attribuaient sans peur des caractéristiques féériques, tandis que d'autres n'y voyaient qu'un bois très épais et très désagréable à traverser à cheval. Le plus étrange, dans cette forêt, devait être son sol. Nulle ne savait s'il s'agissait d'anciennes ruines ou bien d'un phénomène naturel, mais la terre de la forêt se composait en damier. Des carrés noir et des carrés blancs se succédaient au sol, ce qui lui donna le nom de Bois des Dames. Ils n'étaient pas en terre, mais en pierre. Des dalles poussaient au sol et recouvraient l'herbe de la forêt. Nulle ne pouvait trouver de raison fiable ou assez cohérente pour satisfaire la curiosité des plus jeunes habitants du château. Certains voulaient explorer cette vaste forêt par eux-mêmes et découvrir les raisons de cette étrangeté, mais l'autorité du capitaine faisait loi et les sorties devaient toujours être motivées par une bonne raison pour être acceptées.

Castel-Cariad trônait sur une colline assez haute pour que la forteresse surplombe toute la forêt qui s'étirait au sud et à l'ouest. Cinq tours, blanches et anguleuses, étaient brandis vers les cieux, comme les cinq doigts d'une main grande ouverte. Toutes étaient de taille différente, et celle où siégeait le capitaine était la plus grande. Des oriflammes du pays de Merveille dansaient au grès des vents. Sur ces bannières à fond rose étaient dessinés les trois symboles du royaume : la tête de lièvre tournée vers la gauche ; la tête du loir tournée vers la droite ; et la couronne de verre de la reine en position centrale.

Bien que le bastion servît désormais à la formation des jeunes et au recueillement des abandonnés, il était autrefois une place forte stratégique. C'est de Castel-Cariad que les forces de Merveille surgirent, il y a des siècles, pour repousser les créatures des cauchemars, les enfants du Croque-Mitaine, au-delà de la Ménagerie. Cette bataille était devenue un conte qui chantait l'espoir et la bravoure des êtres du Rêve, des habitants de Merveille. Le capitaine la racontait chaque année, lors de la nuit la plus longue de l'hiver, pour réchauffer les cœurs des jeunes recrues et des soldats.

Le capitaine était un bon homme qui, bien qu'il approchait de la soixantaine, continuait d'imposer le respect et l'admiration à ses recrues. Castel-Cariad était sa plus belle œuvre. Une place force qui recueillait ceux qui en avaient besoin pour leur donner un toit, un travail et une éducation, le cas échéant. Les uns devenaient des domestiques payés à hauteur de leurs tâches, d'autres rejoignaient les rangs des soldats et s'entraînaient à l'épée, à l'arc et à la lance. Le capitaine n'aimait guère les fusils, ces récentes inventions qui crachaient de la poudre depuis déjà un siècle ou deux, et continuait de former ses recrues à l'usage d'armes plus traditionnelles pour se battre à distance.

Pourtant, le capitaine n'utilisait ni arc ni arbalète. C'était une force de la nature contenue par une armure plastronnée et décorée d'un visage souriant et joufflu. En guise d'arme, il tenait une pipe en pierre grande comme deux hommes appelée Rugissement. Elle pouvait repousser dix Hommes d'un seul coup et en briser tout autant. Le capitaine Cole, car tel était son nom, était surtout connu pour la Guerre de la Pantoufle, où il s'illustra par un duel entre lui et une Manticore, un de ces monstres mangeur d'Hommes qui peuple les vallées du sud. On disait aussi de lui qu'il pouvait courir trois jours de suite s'en s'essouffler et que sa force valait celle d'un troupeau de buffles. Sa grande taille, ses larges épaules et sa barbe ronde et rougeoyante allaient dans ce sens.

Malgré la légende qui l'entourait, il traitait toutes ses recrues avec équité et, surtout, grande attention. Certains avaient besoin de plus de soutien que d'autres, d'êtres aiguillés vers d'autres voies, et le capitaine voulait garder un œil sur chacun d'entre eux. Deux recrues l'intéressaient plus que les autres, même s'il n'avouerait jamais ce traitement de faveur inconscient.

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