🕸️CHAPITRE 19🕸️

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— Alors, Ethan, dites-moi quel mauvais garçon avez-vous été ?

Il y eut tout d'abord un silence. Pas l'un de ces silences gênants où l'on cherchait ses mots et où l'on se demandait quoi dire, mais plutôt l'un de ces silences caractéristiques d'une horrible vérité. Un silence qui, bien qu'on ne le souhaitât pas, en disait long. Margarette était une habituée de ces silences, elle-même adepte de la pratique et elle savait qu'Ethan était tout comme elle, peu enclin à partager ses secrets, mais à présent que la boîte de Pandore fut entrouverte par ses soins, elle ne pouvait reculer. À dire vrai, elle resta plantée devant lui, attendant que les bons mots viennent le trouver, même si le jeune homme avait l'air d'être en proie à un duel intérieur.

À présent, il en avait trop dit et pendant trop longtemps, ils avaient tous deux joué la carte du mystère, le laissant planer allègrement au-dessus de leur tête, désirant plus que toute autre chose que personne ne sache...

— Cela me pèse rien que d'y penser et de devoir vous en parler... Je ne suis pas à l'aise avec l'idée de vous confier un tel secret, finit-il par avouer en baissant la tête.

— Avez-vous peur que je vous juge ? demanda Margarette.

— N'est-ce pas ce que vous faites déjà ?

— Allons-nous avoir cette conversation éternellement ? Satisfaisez ma curiosité et j'arrêterai de vous importuner.

— Cela sonne comme un ordre à mes oreilles, tiqua le jeune homme en faisant la moue.

— Voyez plutôt cela comme un conseil amical dans ce cas.

— Donc nous sommes amis maintenant ? Première nouvelle ! releva Ethan, non sans montrer sans étonnement.

— Je ne vous adresserai même pas la parole si cela n'avait pas été le cas, et puis, n'était-ce pas ce que vous vouliez ? Mon amitié ?

— Il me semblait plus approprié de demander votre amitié alors que nous allions cohabiter pour un temps donné. Vous savez, Margarette, vous et moi avons bien des points communs... Peut-être même sommes-nous plus semblables que vous ne le pensiez.

— Je doute que nous ayons le même attrait pour le meurtre d'ex-mari, siffla-t-elle sans broncher.

Elle l'avait dit. Haut et fort. De façon complètement intelligible pour quiconque se serait trouvé dans la même pièce qu'elle. Elle l'avait dit sans y réfléchir davantage, comme si c'était normal et le plus fabuleux dans tout ça ? C'est qu'elle l'avait dit sans ressentir la moindre once de culpabilité et de remords. C'était sorti, tout simplement.

— Ne me regardez pas ainsi, vous vous en doutiez, non ? pesta la jeune femme auprès de son interlocuteur.

— Je ne m'attendais juste pas à vous l'entendre dire. C'est... surprenant.

Tellement surprenant qu'Ethan en resta médusé pendant deux longues minutes.

— Allez-vous me dévisager encore longtemps ou allez-vous à votre tour cracher le morceau ? Je vous préviens, personne ne sortira de cette pièce tant que la vérité n'aura pas été dite, l'informa Margarette.

— Et qu'allez-vous faire ? Me séquestrer ? En outre, c'est moi qui suis contre la porte et non vous, je peux donc sortir à tout moment quand cela me chante.

— Ou alors, je peux tout aussi bien attraper cette magnifique lampe de chevet et vous la jeter dessus en espérant qu'elle vous assomme suffisamment longtemps afin que je puisse vous attacher à la tête de lit que voici.

— Margarette Heelz ! s'écria le jeune homme en ouvrant grand la bouche.

Elle n'était pas fière de l'idée, ni même de l'avoir mis au courant de celle-ci, mais au moins il avait le mérite d'être averti et Margarette savait qu'au point où elle en était... Un crime de plus ou de moins, ça ne l'effrayait pas. Ou plutôt, ça ne l'effrayait plus.

— Ne faites pas le choqué, vous savez comment je suis. Je ne suis pas une bonne personne et je n'ai jamais prétendu l'être. Je ne serai pas ici aujourd'hui, sinon... soupira la jeune femme.

— Vous m'attacheriez vraiment au lit ? relança Ethan avec une pointe d'intérêt pour l'idée.

— N'allez pas vous faire des idées, vous risqueriez de finir déçu. En outre, vous et moi sommes comme l'huile et l'eau... définitivement incompatibles. Maintenant que cela est dit et que vous avez ma menace bien en tête... allez-vous enfin vous décider à me dire la vérité, bon sang de bois ? Vous êtes décidément très doué pour nous faire tourner en rond.

— C'est un talent unique que peu de gens possèdent, je dois bien l'admettre !

— Je suis sérieuse...

Finalement, et peut-être sous le coup de la menace de Margarette, Ethan finit par prendre une grande inspiration, prêt à se lancer. Après tout, elle était tenace et bornée, elle aurait fini par gagner cette bataille.

— Je souhaite réparer le mal que j'ai commis, tout simplement. C'était... Un accident et je...

Margarette allait-elle finir par avoir son fou rire ? Elle qui pensait qu'il serait bien trop gros et bien trop grotesque que le destin ou bien le hasard finisse par réunir deux criminels sous un même toit.

— C'était une amie. Chère à mon cœur, et cela me rend fou que de penser que j'ai pu... Enfin...

Finalement, la jeune femme éclata de rire. Elle s'était secrètement promis de ne pas le faire, mais s'en était trop. Cet homme vivait dans la désillusion la plus absurde et il osait prétendre être comme elle ? Rien n'avait sonné plus faux que cela, si ce n'étaient les promesses que James avait faites par le passé.

— Les puits magiques qui ressuscitent les morts, ça n'existe pas, dit-elle très froidement et complètement détachée comprenant qu'elle avait perdu son temps, mais aussi son énergie pour une fable.

— Qu'en savez-vous ? fit le jeune homme, visiblement piqué par ses dires.

— Voyons, Ethan, soyez un adulte deux secondes et pensez-y. Nous vivons dans un monde froid et cruel, il n'y a ni marraine la bonne fée, ni puits magiques qui exaucent les vœux. Que vous soyez tombé dans le panneau d'une telle farce me fend le cœur, car je vous pensais plus intelligent que cela, mais là... Je dois bien admettre que je suis déçue.

— Comment...

— Comment quoi ? Allez-y, finissez donc votre phrase. Vous avez eu la naïveté de croire que nous étions similaires, alors que j'ai au moins le mérite de vivre avec mes démons. Ce qui n'est, de toute évidence, pas votre cas. Nous sommes des êtres humains et en cette qualité, nous ne sommes rien de plus que des animaux avec des instincts plus avancés. Et parfois, oui, parfois, ces instincts nous poussent à commettre l'irréparable. Vous m'entendez ? L'irréparable.

Alors voilà donc ce qui le préoccupait. Ce qui l'occupait même. Nuits et jours. Voilà pourquoi il errait comme un chien sans but dans la ville et pourquoi il espérait pouvoir rester davantage au manoir. Afin de réaliser l'impossible. Comme c'en était ridicule. Si ridicule que Margarette en riait encore, seule dans son coin.

Ethan Gainsbourg n'était rien d'autre qu'un enfant séduit par une vieille légende.

Son mythe s'effondrait. 

Le manoir de CastelrocOù les histoires vivent. Découvrez maintenant