chapitre 8

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Tout le monde s'est levé aux aurores pour aller à l'enterrement de Léo. L'homme civil, mort lors d'une mission secrète, à laquelle il n'aurait jamais dû avoir accès. Je ne sais pas si l'on peut dire que le fait qu'il n'ait aucune famille est chose positive pour le camp, qui ce serait exposé à des poursuites juridiques dans le cas contraire. La cérémonie à lieu en début de matinée. Tous les soldats et supérieurs sont conviés, même ceux des camps voisins, comme Whitecourt ou Conklin. Après la cérémonie, nous laissions quelques heures à tout le monde pour se recueillir. Ceux qui n'ont personne à aller voir au cimetière pouvaient utiliser ces heures pour aller voir leur famille si elle était proche, ou simplement aller se promener en ville. Le cimetière réservé aux membres de l'armée est collé à celui réservé aux civils, comme une sorte d'extension. Avant, c'était aux camps de s'occuper de l'entretien des tombes, comme si c'était notre rôle. Conserver la mémoire et le courage de nos défunts est essentiel et même parfaitement normal, mais certaines personnes sont payées pour ce travail et sont même reconnaissantes de pouvoir s'occuper des tombes des soldats de l'armée. Malheureusement, certains membres du gouvernement, dotés d'un mépris sans nom, ont pu faire pression pour que ces tombes soient laissées à l'abandon si jamais nous ne n'en occupions pas. Fort heureusement, depuis que Lewis a repris l'affaire de son oncle, il s'est longtemps battu pour que le cimetière de l'armée soit respecté et traité à sa juste valeur. Ce n'est pas parce que nous sommes une organisation secrète que l'État ne nous doit rien.

Grâce au soutien que je lui ai apporté quelques mois après mon arrivée, et à celui de Lison qui nous avait suivi, nous avons pu faire entendre nos convictions et obtenir justice. Cela a été la première fois que nous nous sommes entendus avec Lewis. Évidemment, ça n'a pas duré longtemps, et après quelques jours sans écart, j'ai vite repris mon habitude de lui rendre la vie infernale de toutes les manières possibles. Je ne saurai déterminer ce qui m'a radicalement fait changer face à lui, peut-être un mélange de plusieurs choses. Sûrement qu'au fil du temps, je me suis lassée de me battre autant contre les mauvaises personnes et que j'ai compris qu'au final, vivre ici n'était pas si mal.

Tous les membres de l'OMS sont présents et habillés avec la tenue de l'armée, abordant fièrement notre symbole. Bien que le ciel soit un peu grisé, il ne pleut pas. Dans ce genre de cérémonie, la pluie ne vient jamais du ciel, mais plutôt des yeux des familles ayant perdu une sœur, un frère, une fille, un fils, ou même un amant. Pourtant, aujourd'hui, personne ne pleure. Personne ne pleure la mort de cet homme. Il était un criminel recherché, il était devenu invisible aux yeux du monde à cause de ses actions. Le seul  pouvant pleurer sa mort aborde un masque de fer, le même que d'ordinaire, à une différence. Aujourd'hui, ses traits sont encore plus durs qu'auparavant, trahissant cette souffrance qu'il désire tant camoufler.

N'ayant développé de lien affectif avec quasiment personne au sein du camp à mon arrivée, je n'ai pas perdu beaucoup de compagnons proches. Les personnes qui étaient avec moi les premières années ont été mutées ailleurs ou sont décédées. Je me sens affreusement coupable de ne même pas connaître leur prénom.

Je regarde à nouveau le visage de Levi. Plus je l'observe, plus je vois à quel point il a l'air abattu. Il venait de perdre tout ce qu'il avait, et je me sens obligée de faire ce que Lison a fait pour moi, tendre la main. Je devais lui tendre la main et ne pas le laisser sombrer dans une spirale de solitude que je ne connais que trop bien. Le problème, c'est que je ne suis pas douée pour ce genre de choses, et en plus de ne pas être patiente, j'ai peur d'être maladroite. Mais je suppose que quand cette intention est sincère, on y arrive forcément. Du moins je l'espère.

Une voix grave s'élève au loin. Lewis invite les soldats à se rapprocher pour participer à l'éloge funéraire en hommage au défunt. Il ne semble pas vraiment affecté, même s'il met un peu d'émotion dans ses paroles, il a l'habitude de ce genre de cérémonies. Pourtant, ses discours n'ont jamais été les mêmes en huit ans, depuis qu'il est à la tête de ce camp, et c'est une preuve de l'humanité que les gens lui retirent bien trop souvent. Il met un point d'honneur à modifier ses discours à chacune des cérémonies, et à parler personnellement de chacun des soldats tombés lors des missions. Il convoque même les amis les plus proches de chacun des soldats pour qu'ils puissent l'aider à rendre hommage de façon personnelle à chacun d'entre eux. Mais évidemment, personne ne le souligne pour défendre notre Général.

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