Chapitre 10

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N'ayant personne à aller voir, les jours de repos au camp sont souvent très calmes, Lewis est souvent en déplacement et Lison part souvent rendre visite à sa mère.
Je sais qu'aujourd'hui, elle est absente mais qu'elle sera présente demain et pour la virée au lac. La matinée a été assez calme, à vrai dire, je me suis terrée dans mon bureau pour nettoyer et surtout pour ne pas croiser Scarrow. La scène d'hier soir, ou plutôt tôt ce matin, ressemblait à un mirage, ou une hallucination selon le point de vue, je me suis même questionnée sur sa véracité. Nous sommes restés dans cette position plus que gênante bien plus qu'on ne l'aurait dû, notamment à cause de la gêne que chacun ressentait. Scarrow d'avoir pleuré et de s'être montré vulnérable devant sa supérieure, et moi d'avoir été si pathétique. Lorsque que j'ai réellement pris conscience de notre condition, je me suis brusquement relevée en m'excusant à demi-mot avant de quitter la salle d'entraînement. Scarrow a à peine relevé la tête face à mon changement de comportement soudain.

Depuis, j'essaie tant bien que mal de me dire que c'était un cauchemar et tente d'enfouir ma honte au fond de mon crâne. Faire du ménage m'aide, en fait, je dois systématiquement être occupée, je deviens folle autrement. Avoir les mains ou l'esprit occupé m'aide à ne pas penser, à ne pas laisser mes pensées divaguer dans des horizons si obscurs que je ne pourrais les exprimer. Alors depuis le moment où je l'ai quitté, jusqu'à maintenant, je n'ai pas quitté mon bureau. Il brille désormais de mille feux et n'a jamais été aussi propre. J'ai même eu le temps de me laver entièrement et de prendre soin de mes cheveux. J'ai des cheveux très longs, trop longs pour l'armée d'ailleurs, et en plus, ils sont bouclés, alors l'entretien n'est vraiment pas de tout repos. Même quand nous vivions dans la misère, ma mère m'a appris à toujours prendre soin de mes cheveux comme je le pouvais, alors même si je n'avais aucun produit pour les entretenir, je les protégeais au maximum. Arrivée ici, Lison a pris le fait de prendre soin de mes cheveux très au sérieux, bien plus que sa propre hygiène d'ailleurs. Elle m'a acheté un livre dédié à l'entretien des cheveux bouclés, depuis je fais mes propres produits et j'effectue cette routine chaque semaine.

Étant à l'armée, bien que seulement officieusement pour moi, nous n'avons pas vraiment le temps de nous préoccuper de notre apparence, alors quand il est possible de le faire tout le monde en profite.

Vers midi, je vais rejoindre ceux encore présents pour le déjeuner, lors de journée comme ça, il a suffisamment peu de personnes pour que tout le monde puisse s'asseoir sur une seule et même table, ce qui veut dire qu'à moins que Levi ne sèche le déjeuner, je vais devoir m'asseoir à la même table que lui. Malheureusement pour moi, ce dernier est déjà attablé avec quelques autres soldats, on dirait que je suis la seule haut gradée présente aujourd'hui. En rentrant dans le réfectoire, le peu de personnes présentes me salue brièvement avant de reprendre leur conversation, seul Levi me regarde fixement, jusqu'à ce que je m'assoie à l'unique place restante, celle en face du petit noiraud. Moi qui n'osais pas affronter son regard en entrant dans la pièce, ses yeux jugeurs commencent à m'agacer. Lorsque je le regarde sévèrement, il baisse les yeux, non pas par soumission comme je l'espérais, mais par paresse, paresse de faire un combat de regard à cette table avec d'autres personnes à nos côtés. Je ne relève pas et entame mon repas dans le silence, nous sommes les deux seuls muets de cette table, mais cela ne semble pas gêner les autres. Son repas est bien bref, il a mangé tout ce qu'il y avait sur son plateau à une vitesse folle, il n'est resté attablé qu'un petit quart d'heure. J'ai déjà remarqué ses habitudes alimentaires, et je ne le blâme pas pour celles-ci, beaucoup ont les mêmes, Des habitudes assez primaires, dans les pires quartiers d'Alberta personne ne mange à sa faim et les bagarres pour de la nourriture sont plus que fréquentes.

Bien qu'il essaie de camoufler ce problème en prenant moins que les autres, qui d'ailleurs n'ont jamais trouvé cela suspect, j'ai très bien compris ce qu'il tente de faire. En prenant moins de quantité que les autres, il pense que personne ne remarque à quel point il mange comme si c'était la première fois depuis des semaines. Personne ne le remarque, car il est tellement silencieux qu'aucun des autres soldats ne le regarde, mais moi qui suis juste en face de lui, j'ai le loisir d'observer ses moindres faits et gestes.
Ce sont deux de mes grandes qualités, l'observation et l'analyse, je suppose que c'est aussi cela qui fait de moi un si bon soldat.

AzuriteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant