Chapitre 6 - Tu t'es envolé ? Sans moi ?

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La voix du prof d'histoire résonne vaguement dans la salle, mais je n'entends rien. Je fixe la fenêtre, perdue dans mes pensées. Ça fait une semaine que je n'ai pas vu Diego, une semaine de silence total. Pas un message, pas une apparition. C'est comme s'il s'était volatilisé, comme si ce baiser n'avait jamais eu lieu. Peut-être qu'il regrette. Peut-être que cette fois, c'est lui qui fuit, qui part en courant. Un instant, j'imagine en parler à Tom. Mais lui dire quoi, exactement ? Que j'ai peut-être tout gâché pour un garçon que je connais à peine ?

La sonnerie me ramène à la réalité, et Eva, d'un coup de coude, chuchote :

— Tu viens ? Je hoche la tête, range mes affaires d'un geste mécanique.

Mon téléphone, bien sûr, est toujours aussi silencieux. Rien de Diego. Sur le chemin, je m'arrête aux toilettes, seule, histoire de reprendre mes esprits. J'entends soudain un éclat de rires étouffés derrière moi, et le parfum agressif qui envahit la pièce ne laisse aucun doute sur qui vient d'entrer. Lola. Je lève les yeux, et voilà qu'elle avance, ses cheveux roux en bataille, son regard perçant.

— Tu crois qu'il veut de toi ?  Son ton est tranchant, glacé.

Je fais face, essayant de ne pas montrer que ses mots me touchent.

— Je vois pas de qui tu parles, je lance.

Elle ricane, et je sens la menace dans son sourire.

— Mais si, bien sûr que tu vois, pauvre fille. Il veut juste te baiser. Laisse tomber, ou je détruis ta vie.

Je frémis. Elle ne me laisse pas le temps de répondre. Un jet de café m'éclabousse en pleine figure. Je reste là, choquée, la sensation du liquide chaud coulant le long de mon visage. Lola s'éloigne, satisfaite, et siffle en riant :

— Fais-moi confiance, je tiens mes promesses. Elle jette un dernier coup d'œil dédaigneux. Venez, les filles, on se casse. Ça pue ici.

Je reste figée, seule dans les toilettes, le cœur battant si fort que ça me fait mal. J'ai envie de hurler. Mais je me contente de respirer, de ravaler cette rage qui monte et de saisir mon sac. C'est plus fort que moi, je me mets à courir, quitte ce lycée de merde, tout ce monde de merde ! Je suis dehors avant même de m'en rendre compte, les voix de Lola résonnant derrière moi. Je les ignore et continue de courir, encore et encore, jusqu'à ce que je monte dans le premier bus qui passe, sans même regarder la destination.

Le trajet jusqu'à la plage est un brouillard. La rage et la tristesse forment une boule dans ma gorge, prête à exploser. Quand j'arrive enfin, je descends du bus sans réfléchir et me dirige vers notre coin, là où Diego et moi avons dessiné cette cabine. Tout ici me rappelle lui. Lui et son sourire, lui et sa façon de me dire que tout ira bien.

Je m'adosse à la vieille porte, sortant un marqueur de mon sac. Avec un peu de maladresse, je dessine deux papillons qui s'envolent, mais j'en laisse un derrière, un qui n'arrive pas à suivre. En dessous, j'écris en petites lettres : Tu t'es envolé, sans moi ?

Je replie mes genoux contre ma poitrine et laisse tomber ma tête dessus, recroquevillée. Les larmes que je retenais commencent à couler, une à une, comme des morceaux de moi-même que je n'arrive plus à contenir.

Diego

L'odeur de fumette et du jack plane encore dans la chambre de Mathias. Quatre jours que je traîne ici, que je m'enferme dans ce trou à rats. Quatre jours que j'ai quitté la maison en sachant très bien ce que ça voulait dire. Tout ça pour défendre ma belle-mère. La batte, elle s'est abattue sur moi, encore et encore, jusqu'à ce que j'arrête de bouger. Le goût du sang m'est resté dans la bouche bien après. Une sale habitude, son truc à lui, de me cogner quand il en a marre de sa vie de merde.

Chrysalide - Take FlightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant