Eillana Croford

Chapitre 23

Sa main caresse cette joue chaude. Sa propriétaire dort à poings fermés, les doigt agrippés à la couverture. Il sera bientôt quatre heures. Bientôt l'heure de partir, et, s'il veut filer en douce, il a intérêt à ne pas tarder.

Losvitch se décale très lentement vers le bord du lit, laisse un dernier baiser sur le front d'Eillana et quitte le confort de son oreiller. Avec un peu de chance, il sera de retour avant son réveil.

Toujours avec la plus grande discrétion, il se lave le visage, les dents, embarque un sac à dos et s'en va.

Le train pour Zavonlina entre en gare à cinq heures trois. Losvitch s'installe dans sa cabine close, seul.

Il y a trop de choses qu'il doit régler. L'endroit peu lumineux ne s'y prête pas mais tant pis. Il se met donc à l'ouvrage et ouvre le profil de Madame Dupont : Denise Dupont a soixante-quinze ans ; ancienne avocate et nourrice pour jeunes enfants. Son mari est mort il y a huit mois... Pourquoi interroger cette vieille femme tranquille ?

Il laisse de côté sa paperasse. Cette maudite enquête lui coûte cher. Mais plus que tout, l'épuise. La tête contre le dossier raide, il observe avec lassitude les villages endormis défiler par la fenêtre. Une pleine lune aussi ronde que si un compas l'avait tracé surveille moutons et vaches assoupis. Ce paysage lui rappelle le soir de la fête de Vick, lorsqu'ils étaient tombés en panne au bord de la route. Eillana ; il donnerait n'importe quoi pour revenir dans son lit et se rendormir auprès d'elle.

Losvitch panique sérieusement à l'apparition de son taxi : un SUV rouge rutilant qui roule à deux-cents à l'heure et manque de lui foncer dessus.

- « Hey, faites gaffe ! »

La lumière aveuglante des phares s'arrêtent à quelques centimètres de lui. Une pluie battante brouille toute visibilité, déjà réduite par l'absence de lampadaire. Une forte odeur d'essence émane du véhicule mélangée à celle du purin. Zavonlina est une région des plus rurale entourée de champs et de grands lacs. La gare centrale fait face à des bottes de foins et une ferme à l'abandon, qui toise elle-même de vieilles bâtisses empestant le crottin de cheval.

- « Ce n'est pas aussi beau que Sra Unroy mais ça a du charme, pas vrai ? »

Sheery s'extirpe de la voiture, peinant à marcher dans ses talons aiguilles rouges. Sa tenue coquette n'a rien d'adapté au sol boueux fait d'une marre -il l'espère que s'en ai- de terre gluante.

- « T'es complètement tarée ? »

- « Hum ? » répond-elle. « Ah ! C'est à cause du petit virage contrôlé... T'en fais pas, c'était prévu ! »

Furieux, il essuie les tâches sur son T-shirt.

- « La campagne n'a pas l'air de te réussir ! » elle plaisante en s'asseyant sur la carrosserie.

Losvitch la dévisage de haut en bas : jupe rouge, chemisier blanc, blazer rouge et un chapeau rouge si volumineux qu'il se demande comment elle a réussi à rentrer dans la voiture !

- « Allez, en route, beau gosse. »

Le moteur vrombit à chaque à-coup. La route est une véritable mine de flaques et de grosses pierres et Sheery est loin d'être Max Verstappen...

- « On arrive dans quarante minutes. T'as de la chance, tu seras de retour pour dix heures. Neuf heures trente si on fait aussi vite qu'au retour. »

- « Génial. Si c'est possible de ne pas trainer, j'ai autre chose à faire en rentrant. »

- « Quelqu'un à retrouver ? »