Eillana Croford

Chapitre 14

Pas un mot ne sort de sa bouche. Eillana se recroqueville sur le siège avant de Joy, apitoyée et tremblotante.

Son amie ne parle pas non plus durant les dix premières minutes du trajet. Elle se contente d'allumer la radio et entrouvre la fenêtre pour laisser passer de l'air. Il est une heure du matin. Un peu plus sûrement, mais l'adolescente n'en a cure. La seule activité qu'elle puisse faire c'est broyer du noir en espérant que son état second la quitte.

- « Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »

Eillana enfonce un peu plus sa tête dans le siège. Elle raconte le global de la soirée.

- « Soman ? »

Elle acquiesce.

- « D'où est-ce qu'il connait ces deux-là ? »

- « Très bonne question... Il n'est pas le seul d'ailleurs. »

- « Losvitch, non ? »

- « Comment tu sais ? »

La blonde dégage une mèche ennuyante de sa figure.

- « Je ne suis pas censé le savoir, mais Vinc, Thomas et lui étaient très amis avant. C'est Tom qui me l'a dit. »

- « Avant ? »

- « Genre il y a quelques années... » elle ajoute, pensive : « Il a eu une période sombre ou il déconnait complètement. Je te rassure, ça lui est passé. On ne comprend pas pourquoi. »

Eillana repense au petit doudou qu'il a dans sa chambre et au portrait qui se cache dans sa bibliothèque. Elle aurait dû se douter que tout ne tournait pas rond chez ce mec.

- « Enfin bref. C'est dommage, Thomas était mignon. »

- « Un peu moins maintenant que tu l'as défiguré ! »

La jeune fille se mord la lèvre. Son visage plein de sang la ferait presque rire. Mais il a clairement été son seul allié et c'est pourtant lui qui s'est repris -littéralement- tout en pleine figure. Elle sort son téléphone, cherche son numéro et formule un message d'excuse maladroit.

- « N'empêche, » continue Joy, « Mieux vaut que ce soit toi qui te sois énervé que Losvitch. Si ça avait été lui, il n'aurait pas brisé que son nez. »

- « Oh. T'exagères ! »

Son amie lui lance un regard appuyé.

- « Bon, ok c'est vrai. Mais je pense au moins qu'il l'aurait laissé vivant ! »

- « S'il s'agit de toi, c'est pas sûr. »

Eillana lève les yeux au ciel. De toute façon, ils ne se parlent plus. Mis à part ce soir, tout va bien dans sa vie et c'est tout ce qui compte. Elle a d'autre préoccupations, notamment une qui lui creuse l'estomac depuis pas mal de temps.

De retour dans sa chambre, Eillana se laisse choir dans son lit et ne se réveille que le lendemain.

La jeune fille a dormi d'une traite. Pas un cauchemar -du moins pas un dont elle se souvienne- et pas une fois où elle s'est éveillée pour boire ou aller aux toilettes. Elle était sûrement trop cassée pour ça.

Eillana se douche, s'habille et se prépare mentalement à la journée qui va suivre. Un repas. Un maudit repas. Ce n'est pas la mort.

Elle arrive à L'Adeline vers douze heures, monte les escaliers en compagnie d'une serveuse et rejoint son père à table. La sangsue est collée à son bras. Celle-ci porte une robe chic, grise au décolleté plongeant. Un truc que cette sorcière n'aurait jamais pu acheter sans l'aide de son père.