Love takes time [DARK ROMANCE]

Aux Confins du Ciel et de l'Enfer

Rose leva la main, prête à frapper à la porte du cockpit, chaque fibre de son être paralysée entre l'impulsion de fuir et l'obligation d'agir. Tout en elle criait de retourner en arrière, de se glisser de nouveau dans cette bulle confortable de passivité. Mais elle ne pouvait plus ignorer ce qu'elle avait vu. Les corps du personnel de bord, entassés, inertes, leurs yeux vitreux, les lumières qui vacillaient... Elle était la seule qui savait. Si elle n'agissait pas, personne ne le ferait.

Elle pensa à lui, celui qui l'attendait à Phnom Penh, son compagnon depuis si longtemps. Elle l'aimait, c'était vrai, mais combien de fois avait-elle fantasmé sur d'autres, cherchant des échappatoires, fuyant ce quotidien trop ordinaire dans des désirs qu'elle se justifiait à elle-même comme de simples distractions ? Elle s'était inventé toutes les excuses possibles – l'éloignement, la routine, l'ennui – pour ne pas voir que quelque chose lui manquait profondément. Et voilà qu'elle se retrouvait là, face à cet homme, cet inconnu, qui, derrière la porte, l'attendait avec une acuité troublante, comme s'il lisait en elle mieux qu'elle-même.

Elle frissonna. Il l'avait invitée à le rejoindre, à franchir une ligne qu'elle n'aurait jamais imaginé croiser. Elle sentait presque l'attraction magnétique et dangereuse qui émanait de lui, une force qui la poussait à s'approcher tout en sachant le péril qu'elle courait. Mais elle ne pouvait pas laisser cet avion plonger. Elle ne pouvait pas abandonner ceux qui comptaient sur elle, et surtout, elle ne pouvait pas abandonner sa propre vie sans se battre.

Prenant une profonde inspiration, elle posa la main sur la poignée, rassemblant tout le courage qui lui restait. Derrière cette porte, elle savait qu'elle trouverait bien plus que la simple menace d'un acte insensé. Elle trouverait des vérités qu'elle avait longtemps cachées, des révélations sur elle-même qu'elle n'osait pas encore affronter. Mais il n'était plus temps de fuir, ni de se cacher derrière des excuses ou des rêves inachevés.

Elle tourna la poignée, prête à affronter ce qui l'attendait, à arrêter cet homme avant qu'il ne soit trop tard – et à affronter tout ce qu'il lui révélerait, sur lui... et sur elle-même.

La porte s'ouvrit, et Rose s'attendait à tout... sauf à ça. Les deux pilotes étaient effondrés dans leurs sièges, immobiles, la tête inclinée, le corps sans vie. L'atmosphère dans la cabine était glaciale, empreinte d'une horreur silencieuse. Et lui, Kraken, se tenait là, face à elle, un sourire calme aux lèvres, comme si tout cela n'était qu'une scène banale, un rêve étrange dont il était l'unique metteur en scène.

À peine une trace de sang maculait son col, une fine éclaboussure qui accentuait l'absurdité de ce moment. Son expression était détendue, presque complice, comme s'ils se retrouvaient là par hasard.

— Ma voisine de siège, murmura-t-il, son ton empreint d'une ironie glaciale. Vous avez demandé à être surclassée...

Rose sentit un vertige la prendre, ses mains tremblantes se crispant sur la poignée de la porte. Elle avait espéré une confrontation, elle s'était imaginée capable de l'arrêter, mais face à son regard calme et assuré, elle sentit une terreur profonde l'envahir.

Il passa derrière elle, refermant la porte sécurisée avec une clé spéciale qu'il fit tourner lentement, scellant leur destin. Elle sentit le déclic de la serrure, ce son qui résonnait comme une condamnation. Prisonnière. Ils étaient seuls, et la terreur la submergea.

— Quoi que vous fassiez, nous allons mourir, vous le savez ? lança-t-il d'une voix tranquille, presque détachée, comme s'il énonçait une simple évidence.

Rose sentit un frisson glacé la traverser. Elle s'était imaginée capable de l'arrêter, mais que pouvait-elle réellement faire ? Elle, face à lui, cet homme mille fois plus fort, sûr de son acte, inébranlable. Une vague d'impuissance la submergea, lui rappelant l'absurdité de sa présence ici. Avait-elle vraiment cru pouvoir le convaincre, ou même le raisonner ?

Il la regarda un instant, puis se pencha vers l'un des corps des pilotes, le faisant glisser au sol sans la moindre émotion, libérant le siège comme s'il s'agissait d'un acte banal.

— Asseyez-vous, dit-il calmement, un sourire impassible aux lèvres. Le vol est encore long.

Rose resta immobile, désemparée. Le monde autour d'elle s'effondrait, chaque espoir disparaissant peu à peu.

— Où allons-nous ? demanda-t-elle, la voix tremblante, à peine un murmure.

Il la regarda, un éclat sombre dans les yeux, comme s'il savourait chaque seconde de cette tension insoutenable.

— Pour vous, je ne sais pas, répondit-il calmement, presque en douceur. Pour ma part... en enfer, sans doute.

Ses mots tombèrent comme un couperet. Il les prononça sans détour, avec une froideur qui glaça Rose jusqu'aux os. Elle sentit une vague de désespoir la traverser. Elle avait espéré un fragment d'humanité, un indice qu'il pouvait encore revenir sur sa décision. Mais cet homme, avec ses yeux sombres et sa voix tranquille, semblait prêt à aller jusqu'au bout.

Il sortit son téléphone, appuya sur l'écran, et soudain la musique de Love Takes Time de Mariah Carey résonna doucement dans la cabine. Rose reconnut immédiatement la mélodie, cette chanson qu'elle écoutait un peu plus tôt, à son siège, dans un moment presque intime, perdu dans ses pensées. Elle sentit son cœur se serrer ; chaque note lui rappelait la simplicité de cet instant, avant que tout ne bascule.

— Je vous ai entendue l'écouter, dit-il, sa voix basse, presque complice, comme s'il s'adressait à une amie. Imaginez que nous sommes dans une de vos histoires.

Elle le regarda, un mélange de stupéfaction et de crainte dans le regard. Puis, calmement, comme s'il partageait une simple évidence, il ajouta :

— J'ai lu Juliette's... et les autres, d'ailleurs.

Rose sentit un frisson la traverser. Il connaissait son univers, ces histoires qu'elle avait partagées discrètement, à peine osées, des fragments de ses pensées les plus intimes. Elle se sentit soudain exposée, vulnérable.

Il la fixait avec une intensité qui la déstabilisa, comme si ses yeux décelaient chaque pensée cachée, chaque fissure enfouie en elle. Elle tenta de détourner le regard, mais il la retenait, sa présence s'imposant, oppressante, impitoyable.

— Vous cherchez les ossements et les fondements de cette histoire, murmura-t-il, sa voix glissant comme une ombre. Vous creusez de vos doigts, encore et toujours, jusqu'à toucher la chair des secrets.

Ses mots s'infiltrèrent en elle, prenant racine, se resserrant comme des lianes. Il savait, et ce savoir la dépouillait. Il voyait cette curiosité qui l'avait menée au cœur des récits sombres, une curiosité qui se nourrissait de ce vide, de ce manque qu'elle n'avait jamais osé combler. Une quête lancinante, comme celle d'un explorateur perdu qui refuse d'abandonner.

— Vous êtes une archéologue des âmes, dit-il, son regard étrangement lumineux dans la lumière tamisée de la cabine. Vous cherchez des cités d'or, des ruines cachées dans la jungle, des trésors enterrés sous des siècles de silence. Vous avez l'âme de ceux qui creusent sans relâche, quitte à s'enfoncer dans la nuit des serpents et des labyrinthes de pierre.

Elle sentit une colère sourde monter en elle, un ras-le-bol de ce regard qui la scrutait, de ses mots qui cherchaient à la percer à jour, à déterrer ce qu'elle-même n'avait jamais osé affronter.

— Et vous, qu'êtes-vous sinon un apporteur de mort ? lança-t-elle, la voix vibrante de rage contenue. Les gens comme vous, vous passez votre vie à apporter vos guerres dans celle des autres. Mais je ne vous ai rien demandé.

Notre discussion de tout à l'heure, dit-elle, avec une dureté tranchante, c'est le seul moment que j'ai vraiment apprécié de vous. Ce jeu innocent entre passagers, rien de plus, dit-elle, la voix vibrante de colère et de défi. J'ai mes failles, peut-être, mais que dire d'un mec qui veut faire s'écraser un avion ? Elle le fixait, les yeux brillants de rage. Vous vous croyez malin ?