Quand il rouvrit les yeux, un filet d'eau tiède lui coulait sur le visage, goutte après goutte, se mêlant à la sueur et au sang séché qui maculait sa peau. La douleur fulgurante de ses côtes fêlées le ramena brusquement à la réalité. Tout autour de lui s'étendait la jungle cambodgienne, dense et oppressante, chaque ombre semblant prête à l'avaler. Un tronc d'arbre épais s'était enfoncé dans l'habitacle de la cabine de pilotage, comme une lance géante plantée par la nature elle-même pour les punir.
L'avion s'était scindé, séparé du reste de la carlingue qui gisait quelque part, invisible, plus loin dans la jungle. Au-dessus de lui, une silhouette se dessina, tenant un flingue fermement pointé dans sa direction. Rose. Elle était en vie, émergeant de l'enfer avec un éclat de détermination dans le regard.
Il esquissa un rictus amer, sa voix rauque et teintée de mépris lorsqu'il murmura, avec un souffle empli de douleur et de rancœur :
— Tu dois te prendre pour une héroïne maintenant, souffla-t-il, chaque mot lui coûtant un effort douloureux.
Rose le dévisagea, ses yeux durs, implacables. Un ruisseau de sang s'écoulait encore de la coupure sur son visage, mais elle ne semblait même pas le remarquer. Lui, en revanche, se sentait prisonnier de son propre corps, chaque respiration lui rappelant que ses côtes étaient brisées.
— À cause de toi, j'ai échoué, cracha-t-il avec amertume, rassemblant toute la rancune qui lui restait.
Rose le regarda, un éclat froid dans les yeux, avant de lui répondre, sa voix calme mais tranchante :
— C'est toi qui m'as forcée à venir dans cette cabine.
Un silence pesant s'installa entre eux, un champ de bataille invisible où chacun mesurait l'autre. Ses doigts effleurèrent faiblement sa ceinture, et il laissa échapper un souffle amer :
— Je devrais te tuer là, maintenant, pour ce que tu m'as fait faire... pour ce que tu as détruit.
Il la fixa, comme s'il voulait percer cette carapace qu'elle semblait avoir forgée. Mais elle resta impassible, ne laissant rien paraître d'autre qu'une froide détermination.
Rose le regarda sans un mot, ses mains crispées maladroitement sur l'arme. Ses yeux étaient remplis de rage et de douleur, mais une certaine confusion la traversait, rendant sa prise sur le flingue incertaine.
— Si tu dois me tuer, enlève le cran de sûreté, murmura-t-il en étouffant un rire amer. Je m'en fiche de mourir.
Elle hésita, ses doigts tremblants effleurant le cran de sûreté sans savoir quoi en faire. Lui, de son côté, l'observait, sentant que ses propres forces le quittaient, mais une lueur de dédain brillait encore dans son regard.
— C'est l'humanité que je voulais détruire, souffla-t-il. Pas toi, ni même aucun de ces gens.
Elle le fixa, les lèvres serrées, comme si elle cherchait une réponse mais ne trouvait que du vide. Finalement, elle essuya le sang sur son visage d'un geste brusque, détournant son regard de lui, incapable de donner forme à ce mélange de colère, de dégoût et d'épuisement qui la submergeait.
À bout de force, il s'effondra, son corps cédant sous la douleur et l'épuisement. Elle le regarda un moment, immobile, le souffle court, comme si elle luttait elle-même contre quelque chose de bien plus profond. Elle murmura, presque pour elle-même, d'une voix brisée mais déterminée :
— Je ne suis pas comme toi, et je ne serai jamais comme toi.
Elle aurait pu le laisser là, étendu, un corps de plus parmi les débris. Après tout, il n'avait voulu que destruction, c'était un meurtrier, et elle n'avait jamais été qu'un obstacle dans sa mission. S'il s'était trouvé à sa place, elle en était certaine, il l'aurait abandonnée sans une once de remords. Pourtant, alors qu'elle le voyait allongé, vulnérable pour la première fois, elle sentit quelque chose s'agiter en elle, quelque chose d'indescriptible et de douloureux.
Pourquoi le sortit-elle des débris de la carlingue alors qu'elle pouvait simplement se sauver elle-même, retrouver celui qu'elle aimait ? Pourquoi ses mains, engourdies de fatigue, se mettaient-elles à refaire ses bandages, à tenter de panser des plaies qui, elle le savait, n'étaient pas seulement physiques ? Elle n'aurait su le dire. Était-ce pour poser un rempart, un geste d'espoir dans ce chaos où l'égoïsme semblait avoir tout consumé ? Ou simplement pour montrer qu'on pouvait encore être humain, même là, dans ce trou de la jungle où tout était réduit en miettes ?
Il y avait eu tant de morts. Elle aurait dû s'enfuir, se concentrer sur sa propre survie. Et pourtant, ses doigts tremblants vérifiaient ses bandages, ajustaient les morceaux de tissu autour de ses côtes blessées, ses mains tâchées de sang cherchant encore à le préserver, alors que tout en elle lui criait de partir.
Elle n'avait pas de réponse, elle n'avait que ses gestes, seulement cette certitude silencieuse qui la poussait à l'aider, à traîner son corps inconscient hors des débris de l'avion qu'il avait lui-même fait s'écraser.
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Love takes time [DARK ROMANCE]
RomanceRose ne croyait pas aux rencontres prédestinées. Pour elle, les voyages étaient des moments de calme, de déconnexion, des parenthèses où l'altitude lui inspirait ses meilleurs chapitres. Mais lors de ce vol de nuit vers l'Asie, son monde bascule lor...