Mercredi 21 Décembre.
Je suis tombée malade. C'est un rhume mais j'ai l'impression que ça va s'aggraver. J'ai la tête lourde, le nez suintant ce fluide absolument abject, et les yeux cernés. Je suis affreuse. Mais je dois y aller. J'étais pleine de remords hier et je n'ai cessé de penser à ce que j'aurais dû dire dans le bus. Je me suis sentie coupable lorsque je suis allé chez un ami qui m'a passé son manteau fourré car L'homme attendait peut-être dans le froid encore à l'heure où je parlais. Je n'ai rien dit à personne sur ce qui s'est passé. Je me suis insultée toute seule chez moi. Alors malade ou non, j'y vais, je prend mon artillerie de mouchoirs et de médicaments et m'engouffre dehors. Cette fois j'ai mis un tee-shirt à manches longues, en dessous d'un pull en laine, lui-même en dessous d'un manteau fourré. J'ai pris une écharpe, un bonnet et des gants en laine. Je suis parée. Je ressemble à un petit bonhomme Michelin rouge mais je suis parée.
Je m'assois sur le banc et j'attend. Je grelotte mais je sais que c'est parce que je suis malade et non à cause de la température. Ma jambe bouge toute seule avec l'impatience. J'ai peur de ne pas le voir venir. Si ça se trouve il ne veut plus me voir même en peinture. Je m'en voudrais à vie si c'était le cas!
Mais un paquet de mouchoirs et un doliprane plus tard il arrive, toujours de sa démarche tranquille. En m'apercevant, je vois une lueur briller au fond de son regard. Je crois qu'il est soulagé. Mais ça pouvait très bien être de l'agacement. L'indécision me tue. Il s'assoit et moi je ne sais plus quoi dire. Mes mots se bloquent dans ma gorge. J'ai honte.
Il me regarde du coin de l'œil tout en allumant sa cigarette. Je me demande ce qu'il doit penser. Son regard est toujours froid, je ne peux pas savoir. Si ça se trouve il me déteste.
"Vous avez une mine affreuse."
Je fronce les sourcils. Ce n'est pas ce que je m'attendais à attendre. Que je suis stupide, oui. Que je suis méchante, égoïste et non reconnaissante, oui. Mais que l'on me fasse une réflexion sur ma tête de zombie, non. On dirait que rien ne s'est passé hier pour lui. Mais moi je ne peux pas oublier. Il faut que je le dise.
"Merci." arrivé-je finalement à dire.
Il m'en a fallu du courage pour le dire (enfin pour le souffler serait plus exact). Je veux dire, c'est un étranger et je ne parle pas facilement aux étrangers, comme tout le monde. Mais là c'est une obligation, un devoir de citoyenne.
"Pas de quoi." répond-t-il simplement.
Un de mes sourcils se hausse malgré moi. Pas de quoi? Soit il veut clore cette discussion soit c'est un homme incroyablement modeste. Pas de quoi. Pas de quoi? Si, si, il y a de quoi!
"Non...Vraiment merci. Merci énormément. Sans vous je ne sais pas si...Et puis votre manteau...La neige et..."
"Pas de quoi." répète-t-il, alors que je m'emmêle les pinceaux comme pour m'éviter d'être plus humiliée.
Je décide de me taire plutôt que de bafouiller. Je suis absolument ridicule. Je le regarde tandis qu'il souffle la fumée hors de ses poumons. Je me sens si mal...J'aurais presque préférée qu'il ne vienne finalement pas. Je ne sais pas m'exprimer et toute la reconnaissance que j'essaye désespérément de formuler refuse de se concrétiser dans ma bouche. Le pire c'est qu'il ne dit absolument rien.
"Vous n'avez pas trop attendu hier? Votre bus je veux dire."
Il range sa boîte d'allumette dans une poche et me regarde, la cigarette aux bord des lèvres.
"Non."
Il ment. Je sais qu'il ment, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Il ne veut pas que je me sente mal. Il a le même regard qu'on ces papas qui n'osent pas dire à leur gamin que le dessin qu'ils ont fait de toute la famille est moche. Quel horrible être humain suis-je. C'est moi qui aurait dû attendre deux heures dans le froid. Au lieu de ça je suis montée dans le bus parfaitement chauffé et me suis presque endormie comme un chat ronronnant près de l'âtre crépitant.
Je renifle et me mouche bruyamment. Je m'étouffe et une toux sèche m'arrache la gorge tandis que lui fait comme si il n'avait rien entendu. Je suis sûre qu'il fait semblant pour ne pas "heurter ma sensibilité féminine". Un silence mal à l'aise s'installe entre nous. Génial. Je fais pitié.
Son bus arrive et il se lève. C'est presque un soulagement, je ne sais pas combien de temps j'aurais pu tenir dans cette situation. Il jette sa cigarette dans la poubelle après l'avoir éteinte et commence à avancer. Il s'arrête, tourne légèrement la tête vers moi et m'observe quelques instants.
"Bonnes fêtes."
Puis il monte dans le bus et celui-ci démarre.
Je le regarde partir. Je me demande pourquoi il me dit ça maintenant. Noël c'est Samedi (mais j'arrête de travailler Vendredi), c'est un peu tôt pour me le souhaiter non? Alors pourquoi a-t-il donné l'impression que l'on n'allait pas se revoir avant? J'hausse les épaules et éternue si fort que je faillis me cogner la tête contre mes genoux.
Sans doute un réflexe de politesse.
Jeudi 22 Décembre
Hier ma famille est arrivée. Mon oncle et ma tante, mon père, ma grand-mère et c'est tout. C'est tout (étrangement formulé car il y a déjà du monde) parce que ma mère n'est pas là bien entendu. Moi, j'ai la grippe. Je tiens à peine debout, je n'ai pas pu aller au travail aujourd'hui à cause de ça. Je me suis même presque évanouie sur la porte d'entrée. Ma famille m'a forcé à rester au lit malgré mes protestations. Je n'aime pas que l'on s'occupe tant de moi. Je n'ai pas l'impression que je devrais mériter cette attention. Mais je me sens si mal que je vais devoir faire une exception pour cette fois.
Vous savez, ça me fait doucement sourire dans les films, lorsqu'une personne est malade, elle marmonne quelques "j'ai froid" et tousse à des intervalles réguliers tandis qu'on lui a vaguement maquillé des cernes sur le visage pour faire croire au virus.
Mais voilà la vérité. J'ai froid mais je transpire comme si j'étais dans un four et je grelotte comme un marteau-piqueur. J'ai la nausée et je ne peux plus respirer avec mon nez bouché devenu rouge comme une pomme à force de me moucher. J'ai l'impression que je vais mourir et je suis si faible qu'attraper un verre d'eau relève des douze travaux d'Hercule. Quant à ma tête, mes cheveux sont devenus une botte de foin, je suis si pâle que Dracula aurait peur de moi et j'ai les traits tellement tirés que j'ai pris dix ans rien qu'en toussant trois fois de suite.Bref question sex appeal on a vu mieux.
Mais vous savez ce qui m'arrive également? Je fais des rêves de malade. Vous savez ces rêves complètement tirés par les cheveux, où vous ne comprenez rien à rien et où vous avez l'impression que ça se passe sous l'eau. C'est ce qui se passe pour moi et actuellement, je ne fais que rêver de mon "sauvetage" en boucle. Je vois encore et encore le visage de L'homme apparaître et me regarder de ces yeux inquiets (bon après il se transforme en brioche beurrée mais passons ces détails) tandis que le froid me pénètre par tous les orifices. Dans mon esprit dément possédé par la fièvre je me suis posée la question.
Pourquoi cet air si inquiet?
Je veux dire, il est normal de s'inquiéter pour une personne en danger quelle qu'elle soit...Surtout si l'on est le seul témoin sur place. Mais honnêtement je le serais vraiment si c'était de ma faute ce qui arrivait. L'être Humain est égoïste de nature, on ne peut pas l'empêcher. On sera toujours plus en alerte si notre personne est mise en danger. Et dans son regard, j'ai eu l'impression qu'il le pensait. Que quelque part c'était sa faute. Personnellement.
J'y ai vu presque de la peur.
Mais je me suis transformée en esquimau toute seule, comme une grande. Alors pourquoi ce regard? Peut-être que j'ai rêvé, après tout je n'étais pas dans mon état normal...Mais cela ne me semble pas juste, je me le dis, mais au fond de moi ne le pense pas.
Ces réflexions me donnent mal à la tête. Je crois que je vais dormir.
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Arrêt de bus
RomancePensons aux rencontres. C'est fascinant les rencontres car finalement on espère toujours en faire et les voir durer. Les bars, le lieu de travail, les restaurants, internet... tout est bon pour les rencontres. Mais celles-ci se fanent et pourrissent...