Arrêt de bus: 10

237 37 4
                                    

Mercredi 18 Janvier

J'ai rêvé de Alain cette nuit. C'était agréable. Je me sentais bien. On était à l'arrêt. Il souriait. Et je souriais parce qu'il souriait. Il faut dire qu'il a un sourire magnifique. Que je ne reverrais sans doute jamais. Blindy a dû lui faire oublier quelque chose tandis qu'il le caressait. Je ne pense pas qu'il se soit rendu compte qu'il souriait. J'ai souvent l'impression que quelque chose le bloque pour sourire. Comme s'il se disait "tu n'en a pas le droit". C'est vrai que je ne le connais pas très bien. Mais il y a des choses que l'on ressens chez les gens qui pourtant ne font pas partie de notre vie.

J'observe le ciel en me dirigeant vers l'arrêt. Il est couleur prune ce matin. Plus les jours passent, plus il y a de lumière le matin. Avant à cette heure-ci, il faisait encore nuit noire. Il ne fait pas plus chaud mais il ne neige plus. L'hiver commence à disparaître je suppose.

Je m'assois après avoir essuyé la rosée du matin, ayant mouillé le banc, avec un mouchoir. Je prend une grande inspiration. Ca sent le pin mêlé à une pointe d'humidité. C'est l'odeur du matin. Cela m'engourdit un peu. J'ai envie de dormir. Je referme mon manteau et me cale confortablement contre la vitre. Je ferme les yeux et commence à somnoler.

"Nuit difficile?"

J'ouvre les yeux. Alain est là, debout à quelques pas de moi. Il a une main dans la poche de son manteau noir et l'autre tenant une cigarette. Son regard calme et glacial est encore là, me transperçant de stalactites inexistantes.

"Non, ça va."

Je rougis légèrement en répondant cela.

Il ne le remarque pas cependant et s'assoit en hochant la tête. Je suis heureuse qu'il prenne l'initiative de me parler. Cela prouve que ma compagnie lui est agréable. Moi aussi j'apprécie la sienne.

"Blindy va bien?"

Je me tourne vers lui et souris.

"Très bien. Vous lui manquez déjà j'en suis sûre."

Un souffle de rire arrive à franchir ses lèvres. J'aimerais le faire rire encore et encore. J'ai le sentiment d'être spéciale. C'est un peu égoïste. Mais au moins je suis honnête. Je ne veux pas faire mourir cette discussion. Je veux continuer à lui parler. Nous ne connaissons rien l'un de l'autre. Nous n'avons rien en commun. Nous sommes deux étrangers seulement rapprochés par un arrêt de bus. Et c'est ce qui rend merveilleux chaque paroles échangées ensemble.

"Vous avez ou avez déjà eu un chat?"

Alors qu'il va prendre sa cigarette pour en tapoter le bout et enlever la cendre, il s'arrête en plein mouvement. Il me regarde puis baisse les yeux.

"Oui." répond-t-il pensivement.

"Quel est son nom?"

Il réfléchit quelques instants.

"Gandalf."

Un rire sort de ma bouche malgré moi.

"Vraiment? Il est magique?" demandé-je avec humour.

"Non. Il était gris."

Son regard semble nostalgique. Les cendres de sa cigarette sont trop longues et tombent sur le sol en crépitant. Il ne l'a pas remarqué. J'ai bien compris pourquoi il parle à l'imparfait mais ne fait aucune remarque dessus.

"Vous voudriez avoir un autre chat?"

Alain tire sur sa cigarette en silence.

"Non. Disons que ce n'est pas l'animal que j'aime le plus."

Arrêt de busOù les histoires vivent. Découvrez maintenant