Arrêt de bus: 11

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Lundi 30 Janvier

Ces derniers jours, Alain se comporte bizarrement. Lorsque l'on se parle, il ne dit pas plus de trois mots et sa voix est plus ou moins morne. Quelque chose le tracasse. Parfois lorsque je m'adresse à lui, il n'écoute pas. J'ai d'abord pensé que c'est ce que nous avons parlé deux semaines plus tôt qui le contrarie mais c'est plus que ça. Plus les jours passent plus son humeur semble se dégrader. On dirait un compte à rebours. Je lui ai bien demandé s'il y avait quelque chose mais il m'a juste répondu "qu'il est fatigué". Je sais bien que ce n'est pas ça. D'ailleurs vendredi et samedi dernier je ne l'ai pas vu. Cela m'inquiète. J'espère qu'il va aller mieux.

Le restaurant est fermé aujourd'hui. Je n'ai pas de travail donc. C'est plutôt bien. Je reste à la maison toute la journée en me nourrissant exclusivement de biscottes. Mais vers le soir je me rend compte que je voudrais quelque chose que des biscottes. Alors je regarde dans mon frigo mais ne voit rien d'autre qu'un pauvre radis et un pot entamé de moutarde. Quelques yaourts bio trainent au fond mais il me semble qu'ils sont là depuis 2013. Je ne me risquerais pas à les ouvrir. Je regarde dehors et vois qu'il fait presque nuit. Mais les supermarchés sont encore ouverts. Alors j'enfile un pull et prend un sac avant de m'engouffrer dehors.

Le supermarché le plus proche est sur le chemin des bus donc c'est par là que je m'y rend. Je suis sur le trottoir en face de mon arrêt et je le vois, sous la lueur pâle d'un lampadaire. Ca me fait une impression bizarre, c'est comme si c'était le matin. Il fait presque noir et il n'y a personne.

Un bus arrive et s'arrête à l'arrêt sur mon trottoir, à environ une centaine de mètres. Cela me sort de mes pensées. Des gens descendent. Parmi eux, il y en a un que je reconnais. Il traverse la rue pour aller sur le trottoir d'en face. C'est Alain. Quand on parle du loup... J'ai envie de l'appeler mais quelque chose m'en dissuade. Il n'est pas comme d'habitude. Il n'a rien à voir avec le Alain s'étant dis fleuriste il y a quelques jours de cela.
Son pas est rapide et pressé. Il tient son manteau noir sous le coude, sa chemise est déboutonné au niveau du col et ses cheveux sont décoiffés comme les jours venteux. Instinctivement je m'arrête en face de notre arrêt, cachée par l'ombre des sapins, curieuse. Plus il s'approche, plus je remarque son visage crispé et ses yeux plus glacés que jamais. On dirait un autre homme. Lui qui est toujours élégant et propre sur lui, semble désormais tout le contraire. Il ne m'a pas vu. Il allait passer l'arrêt lorsque son téléphone sonne. Il s'arrête et le sort. Ses sourcils se froncent en une expression d'incompréhension puis il décroche.

"Allo?"

Sa voix est morne et exaspérée. Il écoute quelques secondes et plus le temps passe plus son regard devient irrité.

"Non."

Son ton est abrupte, glacial et extrêmement énervé mais il n'hausse pas le ton.

"N'insistez pas, je vous dis."

Il commence à taper du pied avec impatience. Tout son visage se contracte sous la colère. Mais il me semble qu'il y a plus que ça. De la tristesse? Non c'est autre chose.

"C'est une histoire classée vous ne savez donc pas?"

Il est sur le point de craquer. Son ton jusque là était contenu et presque cordial mais là je le sens sur le point de se rompre. Il se passe la langue sur la lèvre en un geste agacé.

"Il n'y a rien a dire! Absolument rien! Tout a été dit il y a des années de ça! ...Non, je n'accepterais pas! J'essaye d'oublier vous ne comprenez pas?! ...C'est ça...Vous pouvez vous les mettre la où je pense. Allez vous faire voir! Votre patron aussi!"

Il s'est mis à crier et là, il raccroche rageusement. Je ne me suis pas rendue compte que j'avais arrêté de respirer. Je ne comprend pas ce qui s'est passé. Ce n'est pas le Alain que j'ai l'habitude de voir.

Arrêt de busOù les histoires vivent. Découvrez maintenant