Marianne était partie depuis plusieurs minutes déjà, mais Vaisey se tenait toujours assis sur sa chaise dans le grand hall. Il n’avait pas bougé d’un pouce et son regard semblait plongé dans le vide. Soudain, il sortit de sa torpeur et d’un geste de la main, il congédia les deux gardes qui se tenaient devant la porte d’entrée.
Ces derniers sortirent sans demander leur reste. Le Shérif désirait être seul et dans ce cas, il ne valait mieux pas le contrarier. Vaisey ne voulait pas l’admettre, mais la visite de la jeune femme l’avait troublé plus que de raison. Il ne put empêcher de vieux souvenirs de remonter à la surface. Mais ce n’était pas le moment de montrer le moindre signe de faiblesse.
A presque 48 ans, c’était la première fois qu’il avait peur, peur de ce qui pouvait lui arriver, peur pour sa vie. Il se ressaisit immédiatement. Il devait absolument garder son sang-froid et rester maître de la situation. Les coudes sur la table, le menton posé sur ses mains jointes, il tentait de faire le vide dans son esprit. Vaisey n’aurait su dire combien de temps il était resté là à ne penser à rien. Il ne s’était même pas rendu compte qu’une autre personne se tenait à présent debout non loin de lui dans le grand hall. Il parut soudain réaliser qu’il n’était plus seul.
Il se tourna vers le nouvel arrivant avec la ferme intention de le congédier, mais en le reconnaissant, un grand sourire apparut sur ses lèvres et il se leva pour l’accueillir chaleureusement.
- Blake, mon cher ami ! Vous ne pouvez imaginer à quel point votre visite me comble de joie.
William se garda bien de souligner que la missive que le Shérif lui avait fait parvenir tantôt était plus un ordre à venir immédiatement qu’une cordiale invitation. Il se contenta d’acquiescer. Mais si le Shérif pouvait presque paraître aimable lorsqu’un sourire se dessinait sur son visage, sur celui de William Blake, cela ressemblait plutôt à un rictus et le rendait encore plus inquiétant. Son regard gris était froid comme l’acier, ses lèvres fines lui donnaient un air cruel et une cicatrice lui barrait la joue gauche, lointain souvenir d’un combat qui avait mal tourné.
- Monseigneur… Que puis-je faire pour votre service ?
En quelques minutes à peine, Vaisey lui expliqua ce qu’il attendait de lui. Si Blake fut surpris par certaines informations données par le Shérif, il n’en laissa rien paraître. Au contraire, il se délecta même à l’avance de la tâche qu’il avait à accomplir, et pas seulement parce qu’il savait qu’il allait être grassement payé pour cela. Le Shérif lui signifia que leur entretien était terminé, mais William avait une dernière question à lui poser.
- Monseigneur me donne-t-il la permission de… m’amuser un peu ?
Le sourire du Shérif se crispa en entendant ces paroles, mais cela ne dura qu’un bref instant et ce fut sur un ton calme qu’il lui répondit.
- Faites cela… et je m’assurerai personnellement que votre mort soit la plus lente et douloureuse possible.
Blake hocha la tête pour signifier qu’il avait parfaitement compris le message et partit aussi discrètement qu’il était arrivé.
Quelques minutes plus tard, Vaisey quitta à son tour le grand hall et arpenta les couloirs du château, très satisfait de son entretien. Les doutes qu’il avait pus avoir un instant plus tôt s’envolèrent totalement. Tout en était en train de se dérouler tel qu’il l’avait prévu.
Pendant ce temps, Gisborne poursuivait la collecte des impôts ordonnée par le Shérif dans le Comté de Nottingham, village par village. Comme il s’y attendait, la tâche était ardue. Les paysans, déjà appauvris par toutes les taxes précédentes, ne possédaient plus rien, ou presque. Mais Guy craignait plus la fureur d’un seul homme que celui de toute une populace. Alors, à coup de violence et de menaces, il réussit à soutirer aux pauvres gens le peu qu’il leur restait. Et lorsqu’il rencontrait de la résistance, comme ce fut le cas dans ce village, il n’avait pas hésité à ordonner qu’on brûlât les maisons de ceux qui ne voulaient pas se soumettre. Il ignora totalement les regards chargés de haine que lui lançaient les paysans, il n’en avait que faire. Il était le bras droit du Shérif de Nottingham, il avait le devoir de lui obéir, quels que soient ses ordres et de faire respecter sa loi. Il ne montrait aucune pitié, aucun signe de faiblesse. Le Shérif l’avait persuadé que ce n’était qu’en agissant de la sorte et qu’en étant craint par le peuple qu’il pourrait faire régner l’ordre sur le Comté.
