Lorsque la Mort est préférable.

3.2K 288 20
                                    

Lorsque la Mort est préférable.

C'est ainsi que personne ne remarqua le Kabol isolé qui s'était accroché sous le chariot. Lorsque le pouvoir de Zaël l'avait fait voler au loin, il était retombé dans un buisson qui poussait au milieu de la plaine. L'appel du bonheur avait été plus fort que la douleur. Il était sorti d'entre les branches et les feuilles brûlées par le soleil. Lorsque Jaser et Hanel étaient allés au secours de Zaël, il avait rampé jusqu'au chariot et était resté là, caché, à attendre que tout se calme. A attendre le bon moment pour happer le bonheur et l'espoir et se repaître de la joie des hommes.

Lorsque la charrette repris la route, il s'agrippa aux bords du chariot et se hissa à l'aide de ses longs bras. Ses doigts griffus laissèrent de profondes marques dans le bois. Il se retrouva au-dessus du vieil homme qui soutenait la tête de sa fille, cette même fille qui avait déclenché un cataclysme et décimé les autres Kabols. Les poils rouges de son visage vibrèrent comme sous le coup d'un long frisson et il tendit son bras.

Sa main était au-dessus de l'homme lorsque Jaser se retourna sur sa selle pour vérifier que tout allait bien.

- Père ! hurla-t-il. Non !

Avant qu'il n'ait pu faire un geste, le Kabol effleura, avec une certaine douceur, la joue du vieillard. A l'endroit où l'ongle de la bestiole entra en contact avec la peau, celle-ci prit une teinte grise qui s'étendit en une multitude de petits vaisseaux, avant de disparaître.

Jaser sauta en bas de son cheval et tira son épée qu'il tenait cachée sous sa longue veste. Il transperça le Kabol qui pendant quelques secondes avait connu un bonheur suprême. Il mourut, la lame de l'épée plantée dans sa trachée. Sous son épais pelage rouge qui recouvrait son faciès, il souriait.

- Père ! Père ! Hanel ! Aide-moi ! Par les Déesses, que quelqu'un nous aide !

Hanel arriva et comprit d'un regard le drame qui venait de se dérouler. Il n'hésita pas, il se saisit de Zaël et la hissa sur son cheval.

- Jaser ! cria-t-il, écoute-moi ! Il faut s'éloigner, maintenant ! Il ne peut pas bouger alors nous devons nous éloigner de lui.

- Jamais ! C'est de ma faute. J'aurais dû écouter Zelin, j'aurais dû écouter mon père, j'aurai dû...

- Arrête ! hurla le géant d'une voix rauque. Arrête ça tout de suite. Personne ne pouvait savoir ce qu'il se passerait. Tu n'es pas responsable de ça mais tu te dois de veiller sur ta sœur maintenant. Alors, sors de ce chariot et viens ici !

Le vieillard leva les yeux vers son fils et lui sourit tristement.

- Il a raison. Pars tant que je ne peux te faire de mal. Pars et ne te retourne pas. Je ne veux pas que tu me vois ainsi. Veille sur ta sœur, prends soin d'elle. Et épargne la Gardienne d'une quelconque vengeance. Elle ne sait pas.

Puis, s'adressant à Hanel :

- Veille sur eux, mon ami. Protège-les jusqu'au bout. Ils doivent rencontrer la Gardienne. Il faut qu'ils reprennent le...

La voix du vieillard se fit plus faible et son souffle diminua. Hanel eut juste le temps d'agripper Jaser par l'épaule et de le tirer en arrière avant que le vieil homme ne tente de le frapper violemment.

Le jeune homme s'éloigna, restant aux côtés du géant qui tenait sa sœur dans ses bras. Il regarda son père se débattre contre des démons intérieurs, se brisant les doigts contre les rebords du chariot. Il ne pouvait pas se lever mais le haut de son corps se mouvait à une vitesse incroyable. Il griffait, gesticulait, hurlait, s'écorchait, s'arrachant des lambeaux de peau. Ses dents déchirèrent sa langue et ses lèvres puis, il mordit dans son bras et retira sa chair, laissant l'os à découvert. Le sang gicla, éclaboussant les habits de l'homme et le chariot.

L'Héritière OubliéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant