Dans la forêt : Matei Nicolae

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Le canon vibrait encore de la détonation, mais la main de Matei, elle, ne tremblait pas.

Le garçon garda son arme à feu prête à tirer en s'approchant du corps de la créature. Il n'avait jamais vu un être vivant survivre à l'explosion de sa boîte crânienne, mais rien ne garantissait que la créature fut un être vivant. Cependant, quand les restes de celle-ci se dissolurent tout à coup en relents de fumée, il jugea tout danger immédiat écarté. Il rangea son pistolet dans son holster, non sans mettre le cran de sécurité, puis s'accroupit auprès de la fille qu'il venait de sauver.

Sa peau était très pâle par contraste avec les gouttes sombres qui constellaient son visage. Elle était visiblement évanouie. Ses nerfs n'avaient pas tenu le choc de la surcharge émotionnelle. Matei avait lu quelque part que ce genre de choses arrivait souvent aux gens normaux, dans de telles situations. Il ne perdit pas son temps à lui crier dans l'oreille ou à lui donner des claques: il attrapa son téton et le tordit violemment.

Son visage se contracta de douleur et elle ouvrit brutalement les yeux. A peine reprit-elle conscience qu'elle se plaqua contre le picea abies dans son dos, le dévisageait d'un air panique. Elle se frotta la poitrine et baissa les yeux sur les mains de Matei, tranquillement croisées dans le vide, les coudes appuyés sur ses cuisses. L'air serein du jeune homme parut la tranquilliser, car elle trouva le courage de lui demander :

— C'est toi qui m'a pincé le téton ?

Sa petite voix fluette reflétait plus l'incrédulité que l'indignation.

— Oui, confirma Matei. Le téton est un centre nerveux chez l'homme comme la femme, donc le meilleur endroit où frapper pour tirer une personne de l'inconscience. Ça n'avait rien de personnel ou de lubrique. Je suis asexuel, conclut-il en haussant les épaules, parce que ça rassurait souvent les femmes de le savoir.
— Oh.

Elle parut le croire sur parole et ses épaules se détendirent légèrement. Matei sortit un chiffon d'une pochette de son pantalon et lui tendit.

— Tiens. Pour ton visage, expliqua-t-il devant son regard interrogateur.

Le peu de sang qui colorait ses joues déserta aussitôt son visage. Elle tourna la tête pour constater la disparition de la créature, ce qui ne parut pas la rassurer outre mesure. Mais au lieu de poser des questions idiotes, elle accepta le bout de tissu et s'essuya lentement le visage pour se donner le temps de réfléchir. Temps que Matei lui accorda sans la brusquer. Lui-même détestait les perturbateurs pendant ces moments cruciaux.

— Où est passé le cadavre de mon agresseur ? finit-elle par demander.

Question bien choisie. Qui impliquait qu'elle avait compris qu'il l'avait secourue, sans lui en demander stupidement la raison.

— Son cadavre s'est évaporé en fumée peu après que sa tête aie explosé. Je ne sais pas pourquoi.
Cette dernière phrase était inexacte, mais le moment était mal choisi pour partager ses théories.

La fille verdit légèrement au mot "exploser". Cependant, elle ne l'accusa pas de mentir. Elle parut au contraire se faire violence pour intégrer l'information, ce qui témoignait d'une ouverture d'esprit plutôt rare pour son âge. Matei décida qu'il l'aimait bien.

Il se releva avant qu'elle n'ait le temps de poser une autre question et lui tendit la main droite.

— Je suis désolé de te brusquer, mais si tu es en état, nous devons partir immédiatement. Cette créature a peut-être des paires qui rodent dans le coin. En plus — il jeta un coup d'œil à son propre smartphone — il ne nous reste que quatorze minutes pour arriver à destination.

La fille hocha la tête et plaça sa main fine dans celle de Matei. Il remarqua qu'elle lui tendait le bras illogique, ce qui signifiait que son bras gauche lui faisait plus mal qu'elle ne laissait paraître. Cependant, il ne fit aucun commentaire à ce sujet et elle retira sa main à la seconde où elle regagna la verticale.

— Au fait, je me prénomme Matei. Tu peux aussi m'appeler Matt.

Les lèvres minces de la jeune fille s'étirèrent en un timide sourire.

— Bethany, murmura-t-elle. Tu peux aussi m'appeler Beth.

Ils partirent côte à côte, guidés par la boussole de Matt, celle de la jeune fille gisant quelque part dans la pente.

Pour la première fois depuis le quart d'heure qui venait de s'écouler, Bethany Parker se sentit en sécurité. Ce miracle revenait entièrement au mystérieux garçon qui l'accompagnait à présent.

***

(c) Photo: Forest by Dracoart, Deviantart

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