Dans la forêt : Lilith

33 3 11
                                    

Le silence accompagnait les pensées de Lilith tandis qu'elle rebroussait le chemin qui l'avait conduite à la croix de pierre. Ses deux nouveaux camarades n'avaient pas dit mot depuis leur départ. Lilith était tombée sur de drôles de zigotos. Le garçon, dont elle ne connaissait toujours pas le nom, était une vraie machine. Elle ne l'avait pas vu changer une seule fois d'expression lors des cinq minutes qu'avaient duré leur échange. Il doit être imbattable au poker... La fille, comment avait-elle dit s'appeler déjà ?... Ah oui. Bep semblait réservée au possible, mais au moins avait-elle fait preuve d'une certaine aménité à son égard. Une vague de culpabilité noua la gorge de Lilith quand elle se revit lui sauter dessus. Si papa a vu ça, je suis déshéritée à mon réveil, se dit-elle avec fatalité. Ce serait bien mérité. Elle se promit de renouveler ses excuses une fois qu'elle aurait acquis la crédibilité pour le faire.

Lilith ne savait pas ce qui lui avait pris. La jeune femme était loin d'être un ange, certains la décrirait même plutôt caractérielle ; mais elle ne se pensait ni une lâche qui attaquait les gens par-derrière, ni une brute qui torturait pour parvenir à ses fins. Comme quoi, on ne se connaît jamais vraiment soi-même ...

Ce n'était pas une excuse, mais elle avait paniqué. Elle s'était réveillée dans cette stupide forêt, avec cette stupide boussole et ce stupide lance-pierre. J'ai l'habitude de tirer le mauvais numéro dans la vie, mais, y'a plus de respect. À peine était-elle arrivée dans la clairière que l'Organisateur commençait déjà son discours, après quoi les autres candidats s'étaient éparpillés comme une volée de moineaux effrayés. Seule, désemparée, sans aucune autre piste en tête que le générique de fin de Fort Boyard, elle s'était résignée à errer au hasard dans la forêt comme une âme en peine pour-les-siècles-des-siècles-amen, quand un bruit avait retenu son attention.

Dissimulée derrière un buisson de ronces, elle avait observé — non sans surprise — une petite asperge blonde sauter d'un rocher et courir vers la croix de pierre avec la grâce d'une gazelle bondissante. Les yeux crevant d'envie, Lilith l'avait regardée escalader la croix comme s'il s'agissait de sa promenade de santé, quand une voix s'était mise à vociférer dans son esprit. Cette... Cette blonde s'empare si aisément du premier indice ! Elle est là, victorieuse, en pleine santé, en route pour les qualifications alors que moi ! Moi j'en ai tellement plus besoin... Aveuglée par une rage égoïste et paradoxalement plus lucide que jamais, elle avait attendu que la fille se retourne pour  la clouer au sol. Mais Dieu est juste et bon et ses péchés avaient été immédiatement punis. Lilith haussa les épaules, comme pour en faire glisser la honte, inutile maintenant qu'elle avait choisi de se repentir. On ne m'y reprendra plus et je gagnerai leur confiance honnêtement, jura-t-elle, les yeux tournés vers le ciel.

Des messes basses tirèrent la jeune brune de ses nobles auto-promesses. Elle tendit l'oreille pour épier la conversation de ses deux étranges compagnons de route.

— ... tu as fait pour me rejoindre si vite ?

Une voix hésitante, un chuchotement craintif. Bep.

— J'ai sauté.

Grand Dieu. Lilith revoyait le dénivelé. Il devait bien faire plus de 6 mètres. Bep semblait partager sa consternation, car elle prit quelques secondes à relancer.

— Et...ça va ?

— J'ai amorti le choc en roulant. Je crois que je me suis tordu la cheville, mais nos corps ne sont que des avatars ici. La douleur s'arrêtera à mon réveil.

— Oh... D'accord.

Non, pas "d'accord "! hurla Lilith dans son esprit. C'est dans sa tête que ça ne va pas, à ce garçon !  Il ne boîte même pas en plus ! Qui es-tu ? Un extra-terrestre ? Un sociopathe ? Batman !?  Lilith serra les dents, se voyant mal le sermonner sur son inconscience après avoir faillit démettre l'épaule de sa copine. Ça ne l'empêcha pas de souffler bruyamment par le nez et de s'arrêter.

Real GameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant