Bethany Parker : Les Éliminatoires

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« Trois mois plus tard, à la mi-août, fut annoncée la date de diffusion du premier épisode du Jeu, décidant des équipes participantes pour le reste de l'année. Ce premier épisode, baptisé les Éliminatoires, tiendrait place le dernier jour du mois à 21h00 précises. Il avait déjà enflammé la curiosité de la moitié des téléspectateurs du pays. »


***

Bethany Parker était assise sur le même canapé où elle avait rédigé son inscription quelques mois plus tôt. Elle regardait les pubs défiler à la télévision d'un œil vide. Dans le coin supérieur gauche de l'écran, le petit compte à rebours de 15 minutes semblait la narguer, diminuant inlassablement les secondes qui rapprochaient les millions de téléspectateurs français de l'évènement-qui-aurait-pu-changer-sa-vie.

Si elle avait été sélectionnée.

Un éclat de douleur, tel un minuscule coup de fouet, lacéra le brouillard cotonneux qui flottait dans sa poitrine. Bethany grimaça légèrement et tâtonna la poche de son jean à travers laquelle elle sentit la forme de trois petits cachets. Elle se détendit alors, rassurée. Ce serait bientôt l'heure de sa ration de bonheur.

— Chaud chaud chaaaaud devant !

Sa sœur fonça hors de la cuisine, un bol de soupe fumante à chaque main, et souffla plusieurs fois sur chacune en gonflant les joues, non sans rappeler une locomotive à vapeur. Bethany sourit et se déplaça pour faire de la place.

— La ramens pour Mme, dit Chari d'un air important en lui tendant un bol, et la soupe miso pour son humble serviteur.
— Vous n'avez pas oublié mes baguettes, Georgette ? la taquina Bethany.
— Je ne saurais point me permettre une telle bévue, Ma Dame, fit-elle, droite comme un i, en lui tendant un sachet de baguettes jetables. Elle était tellement guindée que Bethany lâcha un petit gloussement.
— À présent, si Ma Dame me le permet, je vais retirer ce balais de mon posteriori afin de m'asseoir comme une personne normalement constituée.
— Vous pouvez disposer, Georgettes, dit gracieusement Beth.

Elle entama sa soupe avec un sourire radieux. Charity, de deux ans sa cadette, était la lumière de sa vie. Amusante, vive, extravertie et téméraire : tout ce qu'elle n'était pas mais rêvait d'être. Souvent, Bethany se disait qu'elle se serait suicidée depuis longtemps sans elle. Un flot de tendres souvenirs lui revint en mémoire en observant ce visage étrangement similaire au sien déguster sa soupe.

Leurs innombrables parties de cache-cache dans l'immense parc de la propriété (ensemble contre leur nounou, cela va de soi). La fois où elles avaient été consignées dans leur chambre une semaine entière lorsque la nounou avait fini dans le lac (Chari avait créé une corde en nouant des draps et l'avait rejointe par la fenêtre, une entreprise qui aurait pu très mal tourner, elle l'avouait de bon cœur aujourd'hui). Toutes ces récrés de primaire où elle restait dans les toilettes pour lui tenir la main, pendant ses crises de panique, quand sa maladie n'était pas encore diagnostiquée. Leurs parties de poker nocturnes quand Beth ne trouvait pas le sommeil, leurs goûters au soleil, Chari lui racontant les potins du lycée où Beth n'avait jamais mis les pieds... Et les fois où, comme aujourd'hui, elle leur préparait de bons petits plats asiatiques pour lui remonter le moral.

Bethany avait informé sa sœur de son inscription le soir-même où elle l'avait postée, enchantée d'avoir enfin quelque chose à lui raconter. Excitées comme des puces, elles avaient guetté une réponse pendant des jours et des jours.

Aucun mail, aucune lettre. Pas de réponse, négative comme positive. Au bout d'un mois, Bethany avait fini par se faire une raison : son grand signe avait été une coïncidence. Personne ne pouvait rien faire pour elle. Elle était, comme on dit, un cas désespéré.
Elle commença les pilules.

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