1. caramel macchiato

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Il est dix-huit heures quarante-trois lorsque Yoongi consulte l'heure sur sa montre pour la quatrième fois.

Il soupire, agacé et s'appuie contre le dossier de sa chaise, ses doigts pianotant un rythme régulier sur la table couverte d'une nappe crème brodée de motifs délicats. Il devait probablement contraster avec l'atmosphère raffinée du restaurant, avait-il remarqué en se balançant sur les deux pieds arrières de son siège; les trous d'usure dans son jean et ses mèches de cheveux décolorés en témoignaient. Le serveur l'avait d'ailleurs regardé avec un dédain tellement appuyé que Yoongi hésitait encore à lui demander si quelqu'un lui avait mis un balai dans le cul.

Il n'avait jamais demandé à être là, lui, à siroter du vin de qualité quelconque dans un verre qui semblait coûter beaucoup trop cher. Ses parents qu'il ne voyait qu'une fois par mois l'avaient soudainement appelé comme s'ils étaient la famille modèle pour l'informer du succès de son petit frère, Jihoon, à la tête de l'entreprise.
Le sous-entendu était lourd et Yoongi arrivait à déchiffrer "Enfin un enfant qui ne nous décevra pas" entre les lignes. Mais il avait souri tout de même à la nouvelle et avait félicité son frère, demandant de ses nouvelles; elles avaient fini par venir, mais accompagnées de remarques dont il aurait pu se passer.
Sa mère s'était mise à lui raconter que le cadet allait se marier bientôt et lui asséna une énième fois que son absence totale de vie amoureuse était ridicule.

Il y avait eu droit du premier rendez vous de son petit frère jusqu'aux fiançailles et honnêtement, il n'avait aucune idée d'à quel siècle ses parents étaient restés coincés; Yoongi n'avait même pas vingt trois ans et ils espéraient de lui qu'il ait fondé une famille, ait eu deux enfants, adopté un chien et acheté une villa à la campagne.

Sauf que cette fois ci, sa mère était venue préparée; elle lui avait proposé un marché: il n'aurait qu'à se présenter à des blind dates qu'elle organiserait elle même, en échange de quoi elle arrêterait enfin de le harceler à propos de sa vie amoureuse. Il avait accepté sans vraiment réfléchir, heureux de pouvoir y échapper.

Voilà pourquoi il était donc assis à une table du Seven Seas pour la quatrième fois du mois, à bailler aux corneilles, un verre de vin et une bouteille à moitié vide posés devant lui. À chaque fois que la porte d'entrée s'ouvrait, Yoongi levait la tête avec l'espoir que la jeune femme envoyée par ses parents ferait enfin son apparition - elle avait déja dix minutes entières de retard. Non pas qu'il attendait avec impatience sa venue, il voulait juste en finir avec le dernier rendez-vous du mois et retourner à son appartement.

Au moment où il allait finir de se verser les dernières gouttes du vin, la porte d'entrée s'ouvrit de nouveau.

Si Yoongi pensait donner l'impression de ne pas appartenir au restaurant, il avait trouvé encore pire que lui; le nouveau venu était vêtu d'un sweatshirt d'un rouge éclatant et d'un jeans sombre, presque aussi sombre que ses mèches de cheveux hirsutes. Il portait un sac de toile qui avait l'air usé par le temps et dont la poignée menaçait de céder à tout moment; l'apparence de l'inconnu eut le mérite de lui attirer un rire amusé de la part de Yoongi (qui pourtant ne valait pas mieux) jusqu'à ce que ledit inconnu ne lève la tête pour inspecter les tables et leurs occupants.

Il s'approcha d'une table près de l'entrée pour balbutier quelques mots puis s'excusa lorsque l'homme assis secoua la tête négativement et Yoongi, intrigué le regarda répéter l'opération à toutes les tables, une par une. Inévitablement, il finit par aborder celle de Yoongi après avoir fait un quasi-tour du restaurant.

"Excusez-moi, commença-t-il timidement, son visage arborant une petite moue. Je suis ici pour un rendez vous ?"

Yoongi écarquilla les yeux; beaucoup de pensées lui traversèrent l'esprit, la première étant très optimiste. Et si ce jeune homme avait été envoyé par sa mère ? Il se rendit vite compte que cela n'aurait eu aucun sens ; il se rappelait encore du visage soulagé de ses parents lorsqu'il leur avait annoncé qu'il était bi, et non pas gay. Quelque chose comme « il y a encore de l'espoir » luisait dans leurs yeux.

CoffeeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant