1412, France
Les garçons arrivèrent de bonne heure pour la pendaison.
Il faisait encore sombre quand deux d'entre eux s'étaient faufilés hors de leur taudis, aussi silencieux que possible. Un léger manteau de neige fraîche immaculée recouvrait le village, que les traces de pas des garçons venaient de souiller. Ils arpentèrent les rues jusqu'à arriver à la place du marché, où trônait la potence.
Un corbeau s'était posé sur la poutre de cette dernière. Les deux garçons se mirent à le contempler. Ils vouaient un véritable culte à la violence ; pas un qui n'ait jamais lapidé un chat ou assisté à une mise à mort, ou, sinon, ce n'était rien de plus qu'un sous-fifre, un lâche indigne de les côtoyer. Celui qui avait une cicatrice l'arborait triomphalement, et était encore mieux considéré que le roi en personne.
Et des cicatrices, ces garçons là en avaient. Qu'elles fussent obtenues au cours d'un affrontement avec un chat des plus agressifs ou bien suite à une chute inopinée, ces véritables « trophées de guerre » les ravissaient au plus haut point.
Leurs aînés les dégoûtaient ; ils préféraient l'eau à la terre, la tendresse à l'amour, la douceur à la violence. En bref, ils n'avaient rien en commun avec eux.
En tout cas, les garçons étaient impatients d'assister à la pendaison du jour. Leur excitation commença à monter crescendo lorsque le village se réveilla petit à petit. D'un côté, les marchands s'activaient, de l'autre, les servantes et les apprentis allumaient les feux, faisaient chauffer l'eau et préparaient la bouillie matinale.
L corbeau s'envola. Peu à peu, la place se remplit ; paysans, marchands, servantes, petits bourgeois, hommes, femmes et enfants... Tous étaient là et n'attendaient qu'une chose : l'arrivée du condamné. Ce dernier était bien connu dans les alentours. Il s'agissait d'un vil brigand nommé Tancrède, qui n'avait de cesse d'inquiéter les habitants du bourg. Heureusement pour eux, aujourd'hui, il trépassait. Auteur de plusieurs bagarres, d'agressions mais aussi de vols, le bougre avait enfin ce qu'il méritait ; voilà à quoi se résumait l'opinion générale.
La foule n'attendait plus que l'arrivée du condamné. Leur souhait fut exaucé quelques minutes plus tard, quand les lourdes portes en bois du poste de garde s'ouvrirent. Le prévôt allait en tête, montant un beau cheval gris, suivi d'un char à bœufs transportant le prisonnier, pieds et mains ligotés. Des hommes d'armes fermaient la marche.
La veille, ils avaient surpris Tancrède à roder autour de la maison du lainier. Sentant le danger, les gardes l'avaient immobilisé et avaient pénétré à l'intérieur du bâtiment. Le corps sanglant et inanimé du fils du lainier gisait, Richard était mort. Cette nuit-là, Edouard le Lainier s'était absenté, et seule la sœur jumelle de Richard, Aliénor, était présente. Les hommes d'armes conclurent rapidement que le saligaud n'était pas étranger à tout cela ; ils en informèrent le prévôt, qui le condamna à mort.
Après tout, Tancrède avait déjà été gracié trois fois, c'en était trop.
La foule en délire jeta sur le meurtrier tout ce qui lui passa sous la main. Cailloux, neige, œufs, pain dur comme la pierre... Le char à bœufs s'arrêta au pied de l'échafaud. Le bailli du prévôt monta sur ce dernier, le nœud coulant à la main. Tancrède le fixa en tremblant quelques secondes puis se mit à se débattre. Les gamins poussèrent des vivats, heureux de la tournure habituelle que prenait la situation.
Tancrède, qui ne pouvait quasiment pas bouger, tenta quand même de repousser la sentence en secouant la tête de senestre à dextre. Au bout d'un moment, le bailli, un grand gaillard, recula d'un pas et frappa le meurtrier au creux de l'estomac. Ce dernier se plia en deux en poussant un cri de douleur ; le bailli en profita pour lui passer la corde au cou et serrer le nœud. Puis il sauta à terre et tendit la corde, en fixant l'autre extrémité à un crochet à la base de la potence.
Tous attendirent un signe ou un mouvement de Tancrède, mais rien ne se passa. Tout le monde, même Dieu, ne désirait qu'une chose : la mort de cet immonde personnage aux cheveux de jais et à la barbe négligés. Un gamin cracha sur l'homme, qui ne bougea pas d'un pouce : il se savait fini.
Néanmoins, lorsque le conducteur du chariot lança un regard interrogateur au bailli, Tancrède parla enfin, d'une voix qui se voulait assurée, mais qui était tremblante : « Je ne suis pas un meurtrier, juste un voleur. Puisse Dieu nous pardonner pour toutes nos erreurs. »
Le bailli, agacé par ces paroles, se tourna vers le prévôt, qui lui fit un signe de la tête. Le charretier fit claquer son fouet, et le bœuf avança. Une larme roula sur la joue meurtrie de Tancrède. Puis, il trébucha, le bœuf entraîna le chariot et Tancrède tomba dans le vide. La corde se tendit et le cou du criminel se brisa avec un bruit sec. La foule poussa quelques cris, le village de Roibourg était enfin débarrassé de cet odieux personnage qu'était Tancrède.
Deux hommes étaient plantés tout au fond de la place, silencieux comme la mort.
D'ailleurs, il se murmurait aussi qu'Aliénor avait été violée.
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Cent Ans
Historical FictionLa guerre a tué, tue et tuera toujours. Celle dite "de Cent Ans" ainsi que la guerre séculaire opposant Assassins et Templiers ne font pas exception à la règle. Chacun le sait, même les quelques bandits tranquillement établis non loin d'un village...