Chapitre 6

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Gautier errait encore avec Ralph dans le village lorsqu'un homme les héla au détour d'une ruelle. Il s'en approcha. L'homme portait une cape sombre, et ses yeux n'étaient presque pas visibles sous son capuchon. Une moustache noire bien fournie dissimulait sa lèvre supérieure, et la chaînette d'un pendentif entourait son cou. L'homme devait avoisiner les quarante ans.

« Oh, peut-être pourriez-vous m'aider ? dit le moustachu.

- Qui êtes-vous ? répondit Gautier.

- Nul besoin de savoir l'identité d'un homme quand il a de l'or à vous offrir. Alors, ai-je deviné ? C'est bien l'or qui vous intéresse, pas vrai ? »

Avons-nous à ce point l'air de mercenaires ? se demanda Gautier. Mais, après tout, si cet homme peut nous offrir de l'or, pourquoi refuser de l'aider ?

« Bien, dites-moi tout.

- Ah ! Voyez-vous, j'ai récemment eu quelques petits problèmes avec deux frères. Ces hommes, des brutes sans nom, m'en veulent à présent et...

- Venez-en au fait, s'impatienta Gautier.

- Oui, bien sûr. J'aimerais leur fait comprendre que nos différends doivent être oubliés... dans le sang s'il le faut ?

- Vous me demandez de les tuer ?

- Non, évidemment. Sauf si les choses tournent mal... Tout ce que je vous demande, c'est de mettre ces brutes hors d'état de nuire. Le pouvez-vous ?

- Contre de l'or, je le peux, oui.

- Marché conclu !

- Mais nous ne partirons pas d'ici sans l'assurance de votre bonne foi », lâcha Ralph.

L'homme trifouilla dans sa bourse en cuir et en sortit une chevalière qu'il donna à Ralph.

« Elle est précieuse, je puis vous l'assurer. Cela suffit-il ? »

Ralph hocha la tête.

« Une dernière chose, dit Gautier. Ou pouvons-nous trouver ces hommes ?

- Près de la taverne, ils passent leur temps à se battre et à boire. Vous les reconnaitrez facilement. L'un a le crane rasé, traversé d'une grosse cicatrice, et l'autre est toujours avec lui. »

Gautier partit en direction de la taverne, qu'il avait aperçue non loin de la porte principale d'Ardon.

Arrivé là-bas, il vit les deux hommes. Deux montagnes de muscles, semblables à des taureaux. Ils étaient armés de haches - une chacun - et leurs vêtements ressemblaient plus à des haillons qu'autre chose. Gautier s'approcha d'eux.

« T'es qui, toi ? demanda méchamment le taureau au crane rasé.

- Tu n'as pas besoin de le savoir.

- Et qu'est-ce' tu veux alors ?

- Juste discuter.

- J'aime pas la parlotte, et tu commences à m'énerves, mon gars. »

Le Taureau leva sa hache et fondit lourdement sur Gautier. Surpris, il eut à peine le temps d'esquiver avant de dégainer à son tour. Ralph le suivit et engagea le combat avec le deuxième taureau, le frère.

Gautier se mit en garde et attendit un mouvement du Taureau. Ce dernier fonça sur lui ; il réussit à parer le coup et à le frapper de taille. Son adversaire ne broncha pas et passa derechef à l'attaque. Gautier le repoussa non sans mal puis recula de deux pas. Autour d'eux, quelques soûlards criaient et pariaient sur l'issue du combat.

A dextre, la lutte acharnée entre le frère et Ralph se poursuivait.

Gautier reporta son attention sur le Taureau et lui fit un sourire mauvais. Il fondit sur lui et, au dernier instant, bondit à gauche. Le Taureau abattit sa hache trop tard, faisant siffler l'air. Gautier en profita pour le frapper de taille au poignet. Il trancha net la main de son ennemi, qui hurla de douleur et de rage mêlées. Le sourire de Gautier s'étira davantage.

Dans le même temps, Ralph transperça le frère en frappant de taille. Il tomba lourdement, mort. En voyant cela, la rage du Taureau doubla ; et il lança sa hache en direction de Gautier. Il esquiva de justesse, l'acier avait frôlé son oreille gauche.

Les cris des soûlards s'intensifièrent. Trois gardes arrivèrent en trombe, épées à la main. Deux d'entre eux fondirent sur le Taureau qui se retourna pour leur faire face. Il saisit le cou de l'un de sa main valide - la gauche - et le souleva. L'autre garde en profita pour enfoncer sa lame dans les entrailles du Taureau. Il lâcha sa proie, puis s'écroula face contre terre, aussi mort que son frère.

Les trois gardes regardèrent alors Ralph et Gautier.

Gautier lâcha son épée, tout comme Ralph. Je ne suis pas venu m'occuper des gardes, juste des frères. Ils ne doivent pas être bien nombreux ici, ils ne me feront rien.

*

Les hommes d'armes les avaient emmenés dans ce qui ressemblait le plus à un poste de garde : une vieille tour infestée de rongeurs. Gautier était assis à même le sol, main liées. Ralph était dans la même position, mais bâillonné.

« Vous allez devoir répondre de vos crimes, brigands, annonça le plus grand des gardes.

- Brigands, nous ? Je vous signale que les brigands, on les a tués.

- Et c'est bien ce que l'on vous reproche.

- Loin de moi l'idée d'insulter votre intelligence, garde, mais nous devrions être récompensés pour cela, et non punis. Je suis sûr que nous pouvons nous arranger...

- Pas faux, lâcha un autre garde. C'est vrai, quoi, y a rien de mal à ce que des brigands tuent d'autres brigands.

- Quelle belle vision de la justice tu as, toi ! répliqua le grand. Mais c'est vrai ; je pourrais envisager de vous laisser partir, moyennant quelques écus, peut-être. »

Des écus ? Le moustachu va m'en donner bien plus que je ne vais leur en donner, alors pourquoi pas !

« Fort bien, déliez-nous et je vous donnerai quelques écus bien mérités. »

Un des gardes délia Gautier. Il se leva, s'étira quelque peu, puis plongea la main dans sa bourse, pour en sortir les écus. Il en donna une bonne poignée au garde.

« Cela suffira ? »

Le garde hocha la tête. Ralph fut à son tour délié.

*

Gautier retrouve le moustachu à l'endroit où il l'avait trouvé. L'homme était dos à lui, tenant son pendentif dans le creux de sa main gauche, tout en parlant. C'était une croix, incrustée d'une pierre rouge. Gautier entendit la fin de sa phrase.

« ... nous guider. »

Il entendit des pas, se retourna, et aperçut deux hommes en armures, semblables à ceux contre qui il s'était battu près du campement de Cruel. Ils dégainèrent leurs lames et, avant qu'il ne pût esquisser le moindre mouvement, Gautier sentit un lourd pommeau s'abattre sur sa tempe.

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Cent AnsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant