La guerre des clans - Le prix des jours

Chapitre 21

Langue de Serpent s'arrêta un instant, épuisé. Il déglutit puis reprit son chemin.

Le guerrier commençait sérieusement à manquer de nourriture. S'il ne trouvait rien, il ne tarderait pas à s'effondrer. Heureusement, la rivière était proche. Peut-être que le chat trouverait un peu de gibier en la longeant.

Le ventre torturé par la famine, Langue de Serpent franchit les quelques centaines de mètres qui le séparait de la rivière et lapa l'eau de cette dernière. Le liquide gelé engourdit légèrement la langue du mâle, mais lui redonna un peu de force. Celui-ci se redressa et regarda les environs. Il avait trouvé la rivière, mais il lui fallait maintenant manger. Il se promena en quête de gibier puis, faute de mieux, engloutit quelques myrtilles. Finalement, ces baies ne lui donnèrent que plus faim.

Langue de Serpent marcha près de la rivière en la fixant. Si seulement il savait pêcher! Le guerrier était certain qu'il y avait de quoi le rassasier dans cette rivière. Le chat se pencha au-dessus de l'eau et décida d'essayer quand même d'attraper un poisson.

Les yeux fixés sur l'eau noire, le mâle attendit qu'une proie arrive à sa portée. Il y en avait aucune. À croire que cette rivière était aussi vide que la forêt.

Hm hm... Peut-être que ça irait mieux si tu cachait ton ombre. Elle effraie les poissons, lui murmura Douce Pluie à l'oreille.

Ah.

Langue de Serpent recula un peu mais resta suffisamment près de la rive pour pouvoir éjecter un poisson de l'eau. Bientôt, des saumons bien dodus recommencèrent à circuler sous lui. Langue de Serpent saliva mais s'intima à la patience. Il ne voulait pas effrayer les poissons inutilement. Lentement, le guerrier tendit une patte au-dessus de l'eau. Langue de Serpent retint son souffle.

Lorsqu'une truite passa à sa portée, le chat enfonça vivement la patte dans l'eau pour l'éjecter. La truite, effrayée, s'écarta brusquement avant de continuer tranquillement sa nage. Raté.

Frustré, le chat lécha sa patte mouillée pour la réchauffer et décida de réessayer plus loin. Les poissons n'allaient sûrement pas revenir de sitôt là où il avait tenté d'attraper la truite.

Langue de Serpent, plus concentré que jamais, se percha sur un rocher au-dessus de la rivière bouillonnante. Bien décidé à réussir, il cacha à nouveau son ombre et tendit à nouveau la patte, aux aguets. Cette-fois ci, non seulement il rata le saumon qu'il convoitait, mais en plus il faillit tomber dans la rivière, son mouvement brusque ayant fait remuer le rocher.

Langue de Serpent descendit vivement de son appui. Il n'avait aucune envie de piquer une tête. Soudain, quelqu'un le héla.

<< Hé!... Toi! Qu'est-ce que tu fais? >>

Langue de Serpent tourna la tête vers la source du tapage. Un vieux matou brun le regardait. Il ne ressemblait pas du tout aux anciens que Langue de Serpent avait connu; il n'avait ni la souplesse de Pelage d'Argent, ni la sagesse de Plume d'Étourneau. Son regard brun n'était pas animé de la même étincelle que celle qui dansaient dans les yeux de Goutte de Rosée, et il ne possédait pas l'ombre du mérite de Croc de Léopard. Cet ancien-là n'était qu'un être grincheux et sans entrain.

<< Oui, toi, le jeunot, aboya-t-il. C'est une propriété privée ici! On ne chasse pas!

-Je ne chasse pas, je pêche. Et j'ai un nom, répondit Langue de Serpent d'un voix rauque, habituée à être intimée au silence.

-J'en ai cure, de ton nom! Si ça, c'est pêcher, alors les souris ont des dents!

-Justement. Les souris ont des dents.

-Ah? >>

L'ancien sembla un peu perdu, mais se ressaisit bien vite.

<< En tout cas! Vas ailleurs pour - hm - pêcher. >>

Langue de Serpent s'apprêta à refuser tout net puis s'arrêta, une idée en tête. Il baissa humblement la tête.

<< D'accord, répondit-t-il. Promis, je ne chasserai plus sur vos terres. Désolé de vous avoir importuné. >>

Le vieux chat se gonfla d'importance. Langue de Serpent retint un fou rire en le voyant si pompeux et garda son masque désolé.

<< Évidemment, dit l'ancien d'un air suffisant. Et que je ne revois plus le bout de ton museau ici! Sinon, ma foi, je serai obligé de te chasser. 

- Bien sûr. >>

Après avoir formulé ses promesses ailées, Langue de Serpent s'éclipsa rapidement et, au lieu de partir, se cacha dans un buisson. Comme prévu, le vieux chat regarda l'endroit où il avait disparu, perplexe, avant de reporter son attention sur la rivière. En pêchant, il maugréa quelques malédictions envers ces jeunots si insolents. L'ancien pêcha un poisson en quelques minutes seulement. Tandis que le vieux matou se penchait une nouvelle fois sur la rivière, Langue de Serpent sortit furtivement de son buisson, et s'approcha le plus silencieusement possible. À un moment donné, il fit craquer une brindille. Le cœur de Langue de Serpent manqua un battement mais le matou, visiblement un peu sourd, n'avait rien entendu. Vif comme le vent, Langue de Serpent attrapa le poisson pêché par l'ancien et s'enfuit avec sans discrétion. Le vieux chat pivota brusquement et hurla des insultes indignées à l'adresse du voleur. Langue de Serpent l'ignora superbement. Il était déjà loin.

Lorsqu'il fut suffisamment éloigné pour être hors de la portée de l'ancien, Langue de Serpent déposa le poisson et haleta. Il but quelques gorgées d'eau à la rivière puis, avec l'appétit d'un chat n'ayant pas mangé depuis longtemps, se jeta sur son repas.

La chair du poisson était froide et infecte, mais Langue de Serpent eut l'impression de n'avoir jamais rien mangé d'aussi bon. Une fois repu, le guerrier se trouva un buisson en guise d'abri et s'endormit. 

Il rêva de Noyau d'Olive.

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