Chapitre 3 • Drôle de Soirée

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Hung Up - Madonna

❝Time goes by so slowly for those who wait
No time to hesitate
Those who run seem to have all the fun
I'm caught up don't know what to do❞

Mon pouls s'accélère sous le bustier de ma robe pailletée. J'hésite quelques instants avant de déverrouiller la porte des toilettes, exerçant une faible pression sur la poignée qui cède à mon geste. Le simple pas qui sépare ma cachette du centre de la pièce semble me prendre une éternité.

Mais lorsque ma seconde jambe rejoint la première, mon regard se pose tout d'abord sur un pantalon de costume noir, puis remonte jusqu'au col de sa chemise, surplombée d'un épais blazer sombre qui laisse transparaître une cravate du même ton. Son visage est encadré par de larges sourcils froncés et je suis certaine que je n'aurais jamais remarqué ce détail si ses multiples boucles noisette n'étaient pas tirées vers l'arrière de son crâne.

Le tube fluorescent qui scintille au-dessus de nos têtes semble approfondir chaque ligne de son visage, faisant apparaître sa peau d'une étrange couleur claire. Et je ne peux m'empêcher de me demander ce qu'il fait à la mienne.

— Je ne t'écoutais pas ! je lance sur la défensive, son regard s'attarde sur mon propre visage.

S'il a conscience que je suis en train de mentir, il ne le montre pas pour autant.

L'étranger ne répond rien, seul un froncement de sourcils plus accentué me sert de réponse. Je m'apprête à sortir toutes sortes de justificatifs aussi factices les uns que les autres, mais il me devance. Il s'approche un peu plus et je suis entraînée dans un léger mouvement de recul lorsqu'il examine chacun des traits qui composent mon visage.

— Est-ce que tu vas bien ?

Sa voix est lisse et profonde, il a l'air si doux, mais si dur à la fois.

Je n'ai même pas le réflexe d'ouvrir la bouche pour répondre quoi que ce soit étant donné qu'il semble passer un moment sur mes iris humides. Je pourrais presque penser qu'il se sent réellement concerné par mon état émotionnel s'il n'avait pas cet air aussi tranchant.

— Tes yeux sont rouges. remarque-t-il, je secoue la tête.

— C'est rien.

— Tu es triste ?

— Je vais bien.

Mais c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

Au début, ce ne sont que de simples larmes, dévalant mes joues comme elles l'ont déjà fait un peu plus tôt. Mais au fur et à mesure, cela se transforme en une sorte de sanglots suffocants au cours duquel je ne peux même plus m'arrêter, même avec toute la volonté possible et inimaginable dont je fais pourtant preuve.

— Oh merde, je veux dire, mince. Je ne voulais pas... ajoute-t-il en se grattant l'arrière de la nuque.

On peut clairement lire l'embarras dans sa voix.

— Ne pleure pas...

Sa tonalité est à la limite de l'imploration et je me sens aussitôt coupable de lui faire endurer cela. Petit à petit, je recule hors de lui, tout en envoyant un sourire désinvolte dans le processus, bien que je sois persuadée que ce dernier ressort plutôt comme une grimace, tenant compte de la situation.

L'inconnu se retourne dans tous les sens, à la recherche de ce que je suppose être le nécessaire pour essuyer mes larmes. Malheureusement, il s'avère que le seul objet à porter de main n'est autre qu'un vulgaire sèche-main.

Alors, sans perdre plus de temps, il s'engouffre dans une cabine pour déchirer quarte feuilles de papier toilettes qu'il me tend tête baissée, gêné de ne pas avoir trouvé quelque chose de plus adéquat pour essuyer la rivière qui dévale mes joues. Nous échangeons un regard maladroit avant qu'il ne porte à nouveau son attention sur mon visage pour me regarder fondre d'embarras, sentiment qu'il semble partager lui aussi. Il se gratte la nuque.

Encore.

— Je suis désolé, je n'avais pas l'intention de...

— C'est rien, je le coupe aussitôt en gardant du mieux que je peux le contrôle sur mes reniflements irréguliers. Ne t'excuse pas pour ça.

Malgré tout, je tente de lui envoyer un regard apaisant, qu'il peine lui-même à me rendre. Mes paupières sont brûlantes une fois que les larmes cessent enfin de couler.

En général, après un moment comme celui-là, je redeviens de plus en plus calme, comme si je venais de purger quelque chose pour laquelle mes épaules se sont mise à trembler.

— Est-ce que mon maquillage a coulé ? je demande après un maigre silence.

— Bien... (Il se mord la lèvre, hausse les épaules.) Je ne suis peut-être pas très objectif, mais je pense que ça pourrait être mieux.

Le coin de mes lèvres se courbe à la tentative qu'il entreprend de ne pas me blesser. J'inspire profondément, lui tournant le dos pour analyser mon reflet dans le miroir et essuyer les potentiels résidus de mascara sous mes paupières.

— Je ne sors pas souvent, mais au moins je suis assez renseignée pour savoir qu'il ne faut jamais porter de rouge à lèvres si l'on ne veut pas avoir l'air d'une palette d'aquarelle à la fin de la soirée.

Je constate que seules mes paupières ont été endommagées par mon ascenseur émotionnel.

— Pourquoi faut-il toujours que je sois aussi dramatique ? je me moque.

Mes yeux fatigués se posent sur le reflet du bouclé qui semble lui-même déjà en train de me regarder.

— Est-ce que... (Il se racle la gorge.) Est-ce que tu veux en parler ?

Je suis quelque peu surprise par sa proposition, après tout il me semble plus embarrassé qu'autre chose, à l'idée de faire durer cette conversation. Mais je me dis bien vite qu'il me propose cela comme le gentleman qu'il a été élevé ; dans le seul et unique but de paraître poli.

— C'est bon. Ça va aller, merci, je le rassure.

À vrai dire, je ne sais même pas pour qui ou pour quoi je pleure ; Venice ou moi-même. En fait, c'est tout ce qui précède, je suppose.

— Excuse-moi, répète-t-il.

Il semble éprouver un besoin constant de s'excuser d'avoir offensé quelqu'un, et ce, même s'il ne l'a pas fait.

— Écoute, je vais te frapper si tu essayes de t'excuser à nouveau. Tu n'as rien fait de mal.

Je me retourne en fin de compte vers le bouclé qui hoche la tête, me souriant en retour. Nous restons planter là, quelques minutes sans savoir quoi dire ou quoi faire. Jusqu'à ce qu'il prenne, en fin de compte, l'initiative de s'asseoir sur le carrelage bicolore, les genoux repliés contre sa poitrine.

— Je suppose que je suis une sorte de désastre dans les situations sociales, mais personne ne le remarque concrètement, déclare-t-il tout à coup, un rire nerveux glisse de ses lèvres rouge cerise.

Je m'approche de sa position pour prendre place à ses côtés tout en réprimant le frisson qui manque de parcourir la surface de ma peau lorsque le mur glacial entre en contact avec mes omoplates nues. Je couvre mes jambes en tassant le bas de ma robe sur ma gauche.

— Honnêtement, je ne veux même pas être ici de toute façon, je confesse, sans prendre la peine de le regarder en face.

— Comme ça on est deux.

Mais lorsque je le fais, mes yeux tombent nez à nez avec ses iris pâles. Et c'est à cet instant que je me fais la réflexion qu'elles semblent contenir toutes les nuances de vert qu'un peintre ne pourrait jamais imaginer créer.

La véritable ambiance d'une fête prend toujours place en dehors de celle-ci, pas vrai ?

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