Tastes Like Drama

Chapitre 10 • Et si Nous Dansions ?

Dancing with a stranger - Sam Smith

❝I'm dancing, dancing with a stranger❞

S'il y a bien une chose que je déteste par-dessus tout vis-à-vis des bals, c'est sans aucun doute la vision de tous ces couples bidons qui ne durent pas plus d'une soirée, danser un slow avec leur soi-disant moitié. On pourrait croire que j'éprouve une sorte de rancoeur envers ces gens-là, mais loin de là est la réalité. Je suis juste profondément ennuyée par ces comportements superficiels qui flottent en permanence autour de moi.

Et puis, je ne sais pas danser. Ari se tient devant moi, encore plus perplexe que jamais, je suppose que mon refus imprévisible est quelque peu déconcertant, puisqu'il n'a même pas jugé bon de ranger sa main.

— Tu peux y aller, je vais attendre que le slow passe avant de remonter.

L'expression de son visage se libère, un rictus vient prendre le relai.

— Tu n'aimes pas les slows, je me trompe ?

— Pas le moins du monde.

Ari ne répond pas tout de suite. ll semble dans un premier temps pensif, du moins c'est l'impression qu'il me donne lorsque le bout de ses doigts érafle l'épiderme à la surface de sa tempe. Pour une fois, je ne sais pas vraiment à quoi il pense, toutefois je prends son silence pour une affirmation positive à ma requête précédente étant donné qu'il ne conteste pas.

— Et si nous dansions ? propose-t-il à l'improviste.

Je détache le regard de mon collant clair dont un fil s'échappe au niveau de la cheville pour le poser sur le visage du bouclé à la place.

— Et si nous dansions ? je répète incrédule.

— Et si nous dansions, confirme-t-il.

Je m'esclaffe aussitôt, un rire étouffé s'échappe de ma bouche. Mais quand son expression faciale ne mime en rien l'émotion que je partage, je tais cette dernière. Et puis, je réfléchis à sa déclaration et à la façon dont elle est formulée.

— Attends, tu es sérieux ?

— Mmh, il acquiesce, la paume de sa main toujours inclinée dans ma direction, faisant référence à la plus claire des invitations.

— Je ne sais pas danser, Ari.

Une pointe de timidité s'empare de ma voix tandis que je baisse le regard sur ses chaussures cirées.

— Juste... Danse avec moi et prétends que le monde n'existe pas.

Je suppose qu'après cela il n'y a plus de retour en arrière.

La paume de ma main s'emboîte dans la sienne. Alors que je me remets à peine de sa question, je le sens enrouler ses mains au creux de ma taille. À vrai dire, c'est un geste qui me surprend. Je suis si surprise que j'en oublie de positionner mes propres mains. Ari se déplace devant moi, d'une façon qui paraît étonnamment naturelle et décontractée.

Je place aussitôt mes deux mains le long de ses épaules, la position est quelque peu inconfortable, néanmoins je parviens à éradiquer cette pensée. Les bras noués autour de ma robe en tulle, il nous berce au rythme de la musique. Je sens la chaleur rayonner de tout son corps jusqu'à ses paumes de mains. Il m'attire plus près de lui. La combinaison de la musique délicate et de son toucher doux m'aide à effacer mes pensées d'une éventuelle conspiration de mon esprit.

— Juste un avertissement, je ne sais pas danser non plus, souffle-t-il en se balançant maladroitement sur ses talons.

Je ne peux m'empêcher de sourire à sa déclaration.

C'est donc avec un rictus plaqué aux lèvres, que je tente tant bien que mal de suivre son propre rythme qui se détache sans façon de celui exigé par la musique. À ce stade, je me fiche du genre de distraction que je reçois, tant que je finis par en obtenir une. Et prêter une attention particulière à l'endroit où Ari marche pour que ce ne soit pas sur mes pieds, se révèle être tout aussi divertissant qu'une distraction à proprement parler. Je garde mes yeux gris fixés sur le sol et retrace ses pas, le tenant du bout des doigts.

— Je ne comptais même pas sortir ce soir et voilà que je me retrouve à danser avec un inconnu, je marmonne à moi-même.

— Alors, je suis toujours un inconnu ? riposte-t-il, un sourire aux lèvres.

— Un inconnu qui exprime un engouement étrange pour les danses de bal, mais qui ne sait pas danser pour autant. (Il s'esclaffe à son tour.) Quoi ?

— Je n'ai rien dit. Juste, danse avec moi.

Avant que je puisse lui apporter une réponse, il attrape l'un de mes bras, pour me faire pivoter sur moi-même, nous entraînant dans un mouvement bien trop rythmique pour la musique sur laquelle nous sommes en train de danser.

Et puis la mélodie devient de plus en plus feutrée à travers mes tympans, les dernières notes résonnent paresseusement avant de conclure leur défilé sur l'une d'entre elles. La teinte rosée qui s'est évanouie sur ses joues, les regagne à nouveau. L'odeur de son Eau de Cologne m'envahit comme une vague de l'avoir si proche.

Je me méprends sans doute, mais pendant une fraction de seconde j'ai cru qu'il allait m'embrasser. S'avancer un peu plus pour déposer ses lèvres cerise sur les miennes. Toutefois, je ne suis pas certaine qu'il l'ait réellement envisagé ou s'il s'agit de la projection de mon ressenti sur le fait de danser un slow pour la première fois de ma vie.

— Ari ?

Une voix audible détrône mes pensées. Mes pupilles s'arrêtent à mi-course sur une jeune fille à la peau basanée. Le bas de sa robe prune virevolte au gré de son entrée fracassante. Ses iris sont teintés d'un noir profond et malgré le fait que c'est le prénom du bouclé qui est bel et bien sorti de ses lèvres pailletées, son regard ne se détache pas du mien.

— Ari, je te cherchais partout, bon sang ! Tu m'as dit que tu allais nous chercher à boire !

Je me dois d'avouer que le fait d'avoir à nouveau affaire à un accent américain ne m'est pas indifférent, après avoir été si longuement confrontée à celui britannique.

— Ruby ! Mmh, je... il glisse une main dans ses mèches noisette.

Ruby.

Ses cheveux caramel m'ont l'air aussi lisses que sa personnalité. Je ne sais pas combien de temps nous passons tous les trois à nous regarder dans le blanc des yeux en attendant que quelqu'un prononce quelque chose mais je remercie mentalement Ari d'être le premier à briser le silence. Bien que je ne sois pas convaincue par sa phrase de prédilection.

— Je te présente Nevada. Nevada, Ruby.

Ses mains émettent un tas de gestes maladroits nous désignant tour à tour la brune et moi.

— Enchanté. Lance-t-elle à mon égard, le timbre de sa voix m'indique pourtant tout le contraire. Dépêche-toi Ari, ils ne vont pas tarder à passer un deuxième slow ! S'impatiente-t-elle, en le tirant par le bras.

Le bouclé se fait emporter contre son gré, alors que je reste plantée là, au beau milieu des toilettes, les bras croisés sur ma poitrine à l'endroit où nous venons de danser. Je discerne une dernière grimace sur le visage du bouclé lorsqu'il se retourne au niveau de la porte. Il me murmure un "je suis désolé" avant de se faire aspirer par la furie de Ruby.

— C'était qui ? je l'entends interroger Ari à mon sujet, une fois en dehors de la pièce.

Un soupir grimpe de mes poumons jusqu'à mes lèvres. Ses boucles noisette demeurent dans mon esprit comme la seule vision derrière son passage.

Et puis tout à coup, nous sommes redevenus des étrangers à nouveau.