Le restaurant Le Montmorency (nom inventé) était l'un des plus réputés de Nantes et des alentours. Bien sûr, il n'était pas le seul, mais il n'avait pas à se soucier de la concurrence. Toujours remplit d'un monde fou et comme le samedi soir, ce jour-là justement, était une soirée familiale, la présence des enfants était gracieusement sollicitée. Ce qui expliquait tout cette animation.
La nourriture n'était pas à déplorer, avec un menu varié composé d'aliments prestigieux, des portions adaptées, une présentation assez impeccable et des saveurs que l'on qualifiait d'incomparables.
La pièce, d'une taille inestimable était agrémentée d'effluves agréables et se parfums envoûtants.
Les serveurs étaient d'un admirable professionnalisme, d'une classe et d'une politesse sans égales.
Seul bémol : les prix exorbitants que celui-ci affichait conséquence de tout ce raffinement.
Le restaurant était bondé. Le bruit des conversations était ponctué par le va-et-vient des serveurs et le bruit des couverts dans les assiettes. Et la musique d'ambiance. Et le bruit des rires incessants. Et le bruit des hurlements. Et le bruit des crissements de chaises. Et tout ça en même temps. Et le bruit du sang battant trop fort dans les tempes.
La couleur dominante était le rouge. Un rouge aussi flamboyant que celui du sang. Celui de l'amour passionnel. Des nappes rouges, des chaises en velours rouge, des serviettes rouges, des rideaux rouges, des rouges à lèvres, des fruits rouges, de la viande saignante des verres de vin rouge...
Trop de rouge.
-J'ai quelque chose à t'annoncer ma puce.
A une table du restaurant, près d'une fenêtre, un couple dînait. Comme tous les autres présents dans la salle. Elle avait commandé une salade césar, et lui, un magret de canard sur son croustillant de pommes de terres. Elle, les cheveux brun, la peau chocolat, assez banale avec de yeux marron perdus par la fenêtre, lui, magnifique, blond, les yeux verts, dans la vingtaine, le teint clair et lumineux. Un petit accent américain pour couronner le tout. Elle se demandait pourquoi il avait choisi un restaurant aussi raffiné et onéreux pour une soirée comme celle-ci. D'ordinaire, il privilégiait le confort de son appartement. Et la promiscuité qu'il offrait aussi. Il l'avait invitée une semaine à l'avance pour être sûr qu'elle soit libre car il avait, disait-il, quelque importante nouvelle. Elle ne s'était rien imaginée de grandiose, mais tout ce mystère avait suffi pour qu'elle appréhende cette soirée. Elle toucha peu à son plat, trop mal à l'aise, manquant d'appétit. Il ne se pressait pas pour lui annoncer la nouvelle, ce qui ajoutait au malaise. Et puis, il n'avait presque rien dit depuis son arrivée. Un vague bonjour, un vague baiser, de vagues banalités.
Et puis, il n'avait pas souri.
Pas une seule fois.
Elle ne voulait pas se montrer trop insistante, il n'empêche qu'elle voulait tout de même savoir. Alors, elle s'efforçait de ne pas le fixer, mais c'était dur. Il semblait s'en amuser.
Une vraie torture.
Puis il termina enfin de manger. Il essuya lentement sa bouche, vida d'un trait son verre de vin et fixa droit dans les yeux sa charmante compagnie durant quelques minutes qui semblaient durer une éternité. Elle, figée, pendue au moindre mouvement de ses lèvres. Sa gorge la brûlait atrocement, les larmes lui piquaient les yeux et son ventre se tordait d'anxiété. Elle ne devait pas avoir fière allure.
-Tu ne manges pas ?
Elle devait garder la face.
-Je... n'ai pas très faim...
Soutenir son regard n'était pas chose aisée à ce moment précis, alors son attention alla se perdre sur un nourrisson dormant paisiblement dans les bras de sa mère.
-Alors, voilà...
Il commença sa phrase avant de s'interrompre, voyant qu'elle ne l'écoutait plus.
Il lui caressa la main, la ramenant à la conversation.
-Il faut que l'on rompe ma puce.
Elle crut ne pas avoir bien comprit. C'est pourquoi elle ne réagit pas. Puis les mots firent leur chemin. Et son cœur s'arrêta de battre dans sa poitrine. Elle eut soudainement du mal à respirer, puis successivement une terrible migraine et une insoutenable nausée.
-ça va ?
Non ! Ça n'allait pas ! Non ! Et il faisait comme si de rien était ! Et puis cette odeur immonde de nourriture saignante !
Cette sensation de nausée s'intensifia jusqu'à être insupportable.
Le monde sembla s'arrêter de tourner. L'atmosphère s'alourdit subitement. Pour la première fois depuis le début du repas, elle prit la parole gravement.
-Je suis enceinte.

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Famille
RomanceFamille n. f. Ensemble formé par le père, la mère et les enfants : Fonder une famille. Dictionnaire Larousse Il parait que ça ressemble à ça chez les gens normaux. Sauf que les gens de cette histoire, ne sont pas tout à fait standards.